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naturels, c’est ce que nous ne prétendons pas décider. Toujours est-il qu’innées ou acquises, de pareilles aptitudes suffisent pour honorer un artiste, et que, en face des résultats obtenus, on aurait mauvaise grâce à regarder de préférence aux origines et aux causes secrètes. Le talent de Decamps vit dans des témoignages assez sûr pour qu’on les consulte à l’exclusion du reste, dans des œuvres assez notables pour qu’on s’en tienne à ce qu’elles expriment. On pourrait faire montre de sagacité en s’aventurant au-delà : on se rendrait coupable d’injustice en récusant comme incomplètes les preuves que l’on a sous les yeux, ou en tenant un compte médiocre du surcroît d’honneur qu’elles ajoutent à l’histoire de notre art national.

Tandis que Decamps introduisait dans la pratique de la lithographie des réformes conseillées à la fois par son sentiment personnel et par le souvenir des récentes tentatives de l’école romantique, un artiste tout autrement inspiré, Raffet, ne travaillait encore qu’à continuer pieusement, à imiter presque sans modification les exemples et la manière de Charlet. Que quelques années s’écoulent, il est vrai, et cette docilité aura fait place à certaines velléités d’affranchissement, puis à des essais d’émancipation de moins en moins timides; enfin à l’indépendance absolue; vers1830 ? rien ne faisait soupçonner dans le talent de Raffet une transformation aussi prochaine, ou plutôt ce talent, s’ignorant lui-même, ne semblait ambitionner d’autre rôle, à côté des maîtres du genre, que le rôle modeste de suppléant; Volontairement ou non, il lui fallut se départir de sa réserve et s’élever de progrès en progrès au premier rang ; mais, à mesure que ces succès lui vinrent, à mesure que sa réputation grandit, il n’en usa pour redoubler d’attention à se surveiller et pour se comporter dans la situation qu’il s’était faite, comme s’il avait encore à la conquérir. Un homme qui a bien connu Raffet et qui a résumé dans quelques pages émues cette vie si probe et si simple, M. Auguste Bry, nous montre l’honnête artiste aussi étranger à tout sentiment de vanité lorsque son nom est devenu célèbre qu’à l’époque où il recevait les premières leçons de Charlet ou les encouragemens bien vifs, bien flatteurs pourtant, de son second maître, Gros. « Raffet, dit-il, possédait la plupart des dons qui font les hommes illustres, et, chose qui rendait les relations avec lui charmantes, lui seul avait l’air de ne pas s’en douter[1]. » On pourrait ajouter que cette candeur du caractère se retrouve dans tous les travaux du dessinateur, depuis les croquis frivoles jusqu’aux compositions héroïques, depuis les groupes de deux ou trois figures jusqu’aux scènes les plus compliquées. Certes, au point de vue de

  1. Raffet, sa Vie et ses Œuvres, par M. Auguste Bry, p. 112.