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sur notre sol l’arrivée des grandes races. On n’y a jamais trouvé un objet de fer, le bronze même y est très rare. Jamais aucun peuple arien n’a construit de la sorte. Tout cela est encore à l’état de documens épars. Mais ne pensez-vous pas que si la morphologie zoologique était étudiée avec plus de philosophie, avec l’œil pénétrant d’un Geoffroy Saint-Hilaire, d’un Goethe, d’un Cuvier non tourmenté de la manie d’être officiel, ne pensez-vous pas, dis-je, qu’elle livrerait le secret de la formation lente de l’humanité, de ce phénomène étrange en vertu duquel une espèce animale prit sur les autres une supériorité décisive?

Pour moi, j’ai toujours pensé que le secret de la formation des espèces est dans la morphologie, que les formes animales sont un langage hiéroglyphique dont on n’a pas la clé, et que l’explication du passé est tout entière dans des faits que nous avons sous les yeux sans savoir les lire. Le temps fut ici encore l’agent par excellence. L’homme est arrivé à ce qu’il est par un progrès obscur qui dura des milliers d’années et probablement se consomma sur plusieurs points à la fois. Les zoologistes, qui, selon l’expression de la scolastique, voient tout in esse, au lieu de tout voir in fieri, nient, je le sais, les modifications séculaires des espèces. Pour eux, chaque type animal, constitué une fois pour toutes, se continue avec une sorte d’inflexibilité à travers les âges. Quoi de moins philosophique? Rien n’est stable dans la nature; tout y est dans un perpétuel développement. L’échelle sur laquelle a pu être faite l’expérimentation régulière de la fixité des espèces est imperceptible. On s’en réfère à Aristote, aux hypogées de l’Egypte. Admettons que les identités constatées par ces moyens de contrôle soient bien réelles. Qu’est-ce que cela? Les vraies hypogées à consulter en pareil cas sont les couches géologiques. Or que nous présentent ces couches? Une vie animale et végétale fort différente de celle qui existe. Et comment s’est fait le passage des faunes et des flores révélées par la géologie à la faune et à la flore actuelles? Par des coups brusques, par des destructions et des créations nouvelles? Une telle idée détruit le principe le mieux assis de la philosophie naturelle, à savoir que le développement du monde se fait sans l’intervention d’aucun être extérieur agissant par des « volontés particulières, » comme disait Malebranche. La géologie d’ailleurs est entraînée vers de tout autres hypothèses. L’opinion d’après laquelle les causes actuelles continuées durant des siècles suffisent pour expliquer toutes les transformations que notre planète a subies, cette opinion, qui est, je crois, celle de M. Lyell, pourra un jour être modifiée (peut-être l’est-elle déjà), jamais sans doute l’idée de créations par saccades, de changemens ne sortant pas naturellement de l’état antérieur, ne viendra à un savant sérieux. Plus on