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Emerson mesurait la portée de cette résolution, qui scellait à jamais l’alliance des républicains et des abolitionistes : « Il n’est pas le moins du monde nécessaire que cette mesure soit tout de suite marquée par un résultat signalé et important qui affecte ou les noirs ou leurs maîtres rebelles. L’importance de cet acte consiste à faire entrer notre pays dans la voie de la justice, à obliger les innombrables agens civils et militaires de la république à se mettre du côté de l’équité. Prise par une administration, cette mesure ne peut être révoquée par une autre, car l’esclavage ne surmonte les dégoûts du sentiment moral que par la force d’un usage immémorial. Il ne peut s’offrir à nous comme une nouveauté, comme un progrès dans notre XIXe siècle. Cet acte donne une excuse au sacrifice de tant de nobles soldats ; il cicatrise nos plaies, il rend la santé à la nation. Après une victoire telle que celle-ci, nous pouvons subir encore impunément bien des défaites. La proclamation ne nous promet pas la rédemption immédiate de la race noire, mais elle la délivre de notre complicité, de notre opposition. Le président a délivré sur parole tous les esclaves de l’Amérique ; ils ne se battront plus contre nous. Nous sommes sortis d’une fausse position pour nous placer sur le terrain solide du droit naturel : tout éclair d’intelligence, tout sentiment vertueux, tout cœur religieux, tout homme d’honneur, tout poète, tout philosophe, la générosité des cités, les bras vigoureux des ouvriers, la patience de nos fermiers, la conscience passionnée des femmes, la sympathie des nations lointaines, voilà désormais nos nouveaux alliés. »

On est d’autant moins fondé à dire que l’émancipation a été seulement un acte inspiré par la vengeance, la rancune et la haine, que M. Lincoln, à maintes reprises, a invité les états à esclaves demeurés fidèles à faire effacer dans leurs constitutions particulières toute trace de l’institution service, et a invité le congrès à mettre les ressources financières de l’Union entière au service des états qui s’y résoudraient. Cet appel a été entendu : dans le Missouri, dans la Virginie orientale, les législatures locales ont voté des bills qui assurent l’émancipation dans quelques années. Le Kentucky ne tardera pas à suivre cet exemple. Le gouvernement a donné une preuve manifeste de ses sympathies pour la race noire en reconnaissant, ce qui n’avait été fait par aucune des administrations précédentes, la république noire de Libéria, et en nouant des relations diplomatiques avec celle d’Haïti. La présence d’un ambassadeur noir dans les salons de la Maison-Blanche n’aurait jamais été tolérée par un Pierce ou un Buchanan. Enfin les droits de citoyen de l’homme de couleur ont pour la première fois été solennellement reconnus.