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Si nous cherchons à résumer les résultats politiques de la guerre civile, nous constaterons que l’un de ses principaux effets a été raffermissement du pouvoir exécutif. Une crise aussi terrible devait rendre à l’autorité présidentielle la force que la constitution lui avait sagement assignée, mais qui s’était usée pendant le long triomphe de l’école démocratique. L’augmentation nécessaire de l’armée et de la marine, la création de nombreux impôts qui doivent payer les intérêts d’une dette publique démesurément accrue, contribuent à étendre le patronage présidentiel; les intérêts conservateurs, ébranlés par de si violentes commotions, se rallient avec empressement autour de l’autorité centrale. Dès aujourd’hui, la réaction contre les excès de l’école démocratique a commencé, et le mouvement n’est pas encore arrêté. Il y a quelques années, la réélection d’un président, bien qu’autorisée par la constitution, était devenue chose impossible. Le parti alors triomphant aimait à changer d’instrumens, pour mieux faire sentir à ceux qui le servaient sa puissance et leur débilité. Aujourd’hui l’on parle déjà de maintenir M. Lincoln dans ses fonctions aux élections prochaines, pour éviter les embarras qu’entraîne le changement du pouvoir exécutif au milieu d’une guerre et dans des circonstances aussi critiques. En ce qui concerne les partis, l’influence des événemens n’est pas moins visible. Aux époques révolutionnaires, les partis se décomposent avec une extrême rapidité et sont obligés de chercher de nouveaux points de ralliement. En même temps que leurs cadres se déforment, leurs programmes se modifient : il devient presque impossible de suivre dans tous leurs détours les courans de l’opinion publique, et l’on doit se contenter d’en observer les directions principales. Avant la guerre, le parti républicain repoussait l’alliance du parti abolitioniste, aujourd’hui il la recherche et se ligue, avec, lui contre l’esclavage; avant la guerre, les abolitionistes n’étaient qu’une minorité dédaignée des hommes d’état, aujourd’hui leur pensée, leur esprit s’impose à l’autorité présidentielle, dicte les résolutions du congrès et du sénat. Il y a quelques années, les abolitionistes, désespérant d’obtenir l’abolition de l’esclavage par les moyens constitutionnels, prêchaient ouvertement la désunion et demandaient au nord de rompre le lien qui l’attachait au sud; le cri de guerre de Garrison était depuis vingt ans : «No union with slaveholders ! — pas d’union avec les maîtres d’esclaves! » Aujourd’hui les abolitionistes sont devenus les défenseurs les plus ardens de l’union, parce que l’union ne veut plus dire esclavage, mais émancipation. Pour le parti démocratique, il ne faut pas se dissimuler qu’il conserve encore dans le nord une grande puissance : il a gardé en partie le prestige que donne la longue habitude du pouvoir; mais le terrain a manqué en quelque sorte sous