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consul hollandais, mon hôte de Yokohama, qui était venu en bateau à ma rencontre. Il me dit qu'à Yokohama on avait répandu le bruit que quatre cents lonines allaient nuitamment attaquer la ville et massacrer les étrangers. Sans attribuer beaucoup de croyance à ce conte invraisemblable, il avait cependant voulu m'éviter les risques d'une longue excursion à travers un pays accidenté, et me proposait de revenir avec lui par mer à Yokohama. Je m'empressai d'accepter cette offre aimable, et, après avoir remis mon cheval au betto, qui pendant vingt heures n'avait guère fait autre chose que marcher et courir, je montai sur l'embarcation, et je fus transporté en trois heures, à travers les baies de Mississipi et de Yokohama, à Bentendori-no-hattoban, le débarcadère du consulat hollandais à Yokohama.


III

C'est un triste moment que celui des adieux, et bien qu'on acquière en voyageant l'habitude de bien des séparations, la douleur qu'on en éprouve, pour être moins vive en apparence, n'en est que plus profonde. En s'éloignant une première fois de ses amis, en leur disant au revoir, on s'imagine les retrouver tôt ou tard tels qu'on les a quittés, et l’on goûte même par avance, dès le jour du départ, la joie que l'on rêve pour le moment du retour. Plus tard l'expérience amène la désillusion et justifie ce mot amer : « Les absens ont tort. » En prenant forcément l'habitude de ne plus voir ses amis, on s'accoutume insensiblement aussi à ne plus penser à eux; au bout de quelques mois déjà, leur souvenir ne se présente plus que de loin en loin; de nouvelles affections succèdent aux anciennes, et en remplaçant ses vieux amis par d'autres, on comprend qu'on soit remplacé dans leur cœur par de nouvelles amitiés. « Nature le veut par faveur de l'inconstance humaine. » En disant adieu à ses amis pour longtemps, on doit craindre de leur dire adieu pour toujours.

Après un séjour de près de quatre ans dans les diverses contrées de l'extrême Orient, je me vis obligé de retourner en Europe. Le Saint-Louis, ce même navire qui m'avait conduit de Nagasacki aux établissemens russes de la Mandchourie, puis à Hakodadé et à Yokohama, devait, au mois de septembre 1862, me transporter à Shanghaï en me faisant passer par la Souvo-nada ou mer intérieure du Japon, et me permettre ainsi de compléter mon voyage autour de cet empire. Mes amis européens continuèrent jusqu'au dernier moment à m'entourer de cordiales attentions, à me témoigner cette franche bienveillance que tous les voyageurs ont obtenue d'eux, et qui fait le charme de ces petites communautés étrangères reléguées