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Lelewel : c'était le directeur d'une fabrique de Varsovie, qui avait demandé l'autorisation de prendre le nom du patriote de 1830, de l'historien de la Pologne. Beaucoup d'autres noms qui retentissent quelquefois ne sont que des fictions. C'est ainsi surtout que s'est formé ce gouvernement, dont l'anonyme est la loi, l'originalité morale et la nécessité.

Je lisais récemment une lettre, venue de Varsovie, où cette tendance de la Pologne contemporaine et ce caractère du gouvernement de l'insurrection se trouvaient caractérisés avec une saisissante simplicité. «Pendant deux cents ans, disait-on, les grandes familles polonaises se sont jalousées, parce que chacune ambitionnait la couronne, et voilà que de notre temps il se forme en Pologne un gouvernement qui n'excite aucune jalousie, que toute ambition voit sans crainte. Ses ordres s'exécutent comme jamais ordres d'un pouvoir politique n'ont été exécutés, et nul ne sait le nom de ceux qui le composent. Ceux pour qui la puissance politique est inséparable d'une certaine ostentation extérieure, qui ne se figurent un ministre que logé dans un palais, au milieu d'une nuée de serviteurs, ceux-là ne peuvent comprendre l'existence de ce gouvernement dont les membres sont obligés de ne se distinguer en rien des autres citoyens. Arriver au pouvoir, cela est d'ordinaire synonyme de gloire et de fortune; chez nous, le pouvoir, c'est le danger suprême, le fardeau suprême. On gouverne le pays le glaive sur la gorge. On commande, mais à la condition d'être à chaque moment prêt à monter sur l'échafaud. Si l'on pouvait comparer ce gouvernement à quelque chose, ce serait au gouvernement des temps primitifs de l'église. Pendant trois siècles, les chefs suprêmes de la chrétienté étaient forcés de rester ignorés. On les connaissait, on respectait leur personne au fond des catacombes; au grand jour, sur la place publique, le pape lui-même ne se distinguait en rien des pauvres chrétiens qui habitaient alors les faubourgs de Rome. » On voit ici ce mélange de foi patriotique et de dévouement réfléchi s'alliant à un certain mysticisme ingénieux.

Ce qui est vrai, c'est que ce gouvernement ainsi constitué sous sa forme anonyme commande bien réellement, comme on le dit; il multiplie les actes, les décrets, les proclamations. Il a su acquérir une puissance que la Russie elle-même a fini par ne plus nier, parce qu'elle la rencontre sans cesse autour d'elle, devant elle, se mêlant à son action, la combattant pied à pied, annulant ou modifiant ses règlemens. Il y a toute une organisation qui s'étend à la Lithuanie et à la Ruthénie, en laissant néanmoins à ces deux parties de la Pologne insurgée uue certaine autonomie, et au-dessous de cet organisme supérieur il y a des ministères ou directions, —