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encore chercher cette paix durable qui fuit toujours, nous voulons la chercher en réglant le présent et en assurant l’avenir, en fondant un ordre nouveau sur les ruines d’un passé qui s’écroule, en demandant des sacrifices à ceux qui en ont à faire, en réconciliant enfin, s’il se peut, les droits anciens et les aspirations légitimes des peuples.

Je ne sais si jamais il y a eu un temps où plus de paroles de paix soient sorties d’une réalité plus troublée, plus contradictoire et plus discordante. Et ce n’est pas seulement dans les faits, dans les situations respectives, que l’incohérence s’est progressivement glissée sous l’empire d’un régime public qui en est venu aujourd’hui à n’être plus ni vivant ni mort. Le désordre est au moins autant dans les idées, dans la conception morale de l’ordre européen. On ne s’entend, à vrai dire, ni sur la nature du mal, que tout le monde constate en l’attribuant à des causes différentes, ni sur le principe du droit, auquel chacun en appelle, ni sur les conditions d’un arrangement nouveau que chacun veut conforme à ses intérêts et à ses ambitions ; on s’entend bien moins encore, je suppose, au sujet des sacrifices à faire sur l’autel menacé de la paix universelle, de telle façon que cinquante ans après les traités de Vienne on se trouve dans une de ces situations extraordinaires où il n’y a plus aucun accord entre le droit régulier et les faits, où, en proclamant la nécessité d’une réorganisation pacificatrice, on est à chaque instant près de glisser dans des conflits inévitables. — Ce n’est rien, vous dira M. P.-J. Proudhon, qui n’avait point encore parlé dans ce débat ou qui s’était recueilli après avoir foudroyé l’an passé la révolution italienne, ce n’est rien autre chose qu’un malentendu propagé par un inepte libéralisme. L’erreur, la cause de ce malaise que vous croyez apercevoir, consiste dans cette fausse et inintelligente croyance que les traités de 1815 ont cessé d’exister, qu’ils étaient un mal dans leur principe. Qui donc a osé dire que l’œuvre du congrès de Vienne n’existe plus parce qu’elle a été lacérée en maint endroit, méconnue, foulée aux pieds ? À ce prix, les lois civiles, les lois pénales n’existeraient plus, puisque chaque jour elles sont violées par les voleurs et les assassins. Plus que jamais au contraire les traités de 1815 sont en pleine vigueur et sont indestructibles. Les dérogations qu’ils ont subies en apparence dans leur partie exécutoire en sont la confirmation la plus éclatante. Et non-seulement ils existent, ils sont de plus la grande ère moderne, l’ère des principes, la date de la régénération des peuples. De quoi vous plaignez-vous ? Vous me parlerez de l’Italie, qui a souffert de ces traités, de la Pologne, qui est la cause immédiate de tout ce bruit actuel, à qui on n’a pas même laissé les quelques garanties que le congrès de Vienne lui avait accordées. L’Italie, je l’ai pulvérisée il y a un an, elle n’existe plus. Quant à la Pologne, je viens de passer deux ans à étudier son histoire, et voici mon opinion : c’est une insupportable race nobiliaire et catholique, à qui l’Europe ne doit rien. N’est-il pas scandaleux qu’elle nous trouble toujours du spectacle de ses