Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/1002

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prétendues infortunes ? Décidément c’est le tsar qui est le juste et le libéral, ce sont les Polonais qui abusent des avantages qu’on leur laisse, et les empereurs de Russie n’ont eu qu’un tort, c’est de n’avoir pas exterminé toute cette race dès 1772. Avis au tsar actuel. On m’appellera russophile, je m’y attends ; peu m’importe. Heureusement il se sera trouvé en France un homme, un seul homme pour dire la vérité, pour ramener la démocratie dans le droit chemin en lui donnant Mouravief comme un allié, les traités de 1815 comme un idéal, pour raffermir la paix publique artificiellement ébranlée par les déclamations d’une presse pervertie de démocratisme césarien ou de sympathie pour un peuple qui a l’étrange prétention de se défendre, de raviver son droit dans le sang.

Ainsi parle ou à peu près aujourd’hui M. Proudhon, tout orgueilleux d’avoir trouvé un terrain où il est bien sûr d’être seul, tout fier de promener son aigre dialectique sur les plaies saignantes d’une nation et de dérouter l’opinion par l’imprévu de ses sophismes. — Non, vous dira à son tour un autre publiciste qui par le plus sérieusement, qui par le en Européen et en Polonais, qui sonde avec une ingénieuse et ferme pénétration ce problème des conditions d’une paix durable, après avoir montré déjà tout ce qu’il y a de vérité dans ce mot, que la cause de la Pologne est la cause de l’ordre dans l’Occident ; non, vous dira-t-il, après tant d’événemens, après l’irrésistible explosion de l’insurrection polonaise, après la triste fin de l’intervention européenne, la situation qui apparaît n’est plus de celles qu’on abandonne à elles-mêmes, ou qui se guérissent par de vains palliatifs. À défaut du droit qu’ils laissaient dans l’oubli, les traités de 1815 créaient du moins pour la Pologne une sorte de légalité à demi protectrice ; ils pouvaient être une trêve, s’ils eussent été respectés ; chaque jour au contraire a été marqué par une violation nouvelle, par un abus de la force, et maintenant, après une longue, une douloureuse expérience, ni la Pologne ne peut laisser enfermer son droit dans des traités cent fois violés contre elle, ni la paix de l’Europe ne peut trouver son abri sous des garanties dont l’impuissance s’atteste sous toutes les formes. Il ne s’agit plus d’interpréter encore, de faire vivre des traités cruellement inefficaces, de régulariser des situations diplomatiques mal définies. Ce qui apparaît sur la Vistule, sur le Bug, sur la Dwina, c’est l’antagonisme profond de deux esprits, de deux mondes, de deux sociétés ; c’est l’incompatibilité radicale absolue entre la Pologne armée par le désespoir et la politique de la Russie, cette politique de débordement et d’envahissement que Pierre le Grand a créée, et qui n’a subi un temps d’arrêt sous Alexandre Ier que pour reprendre son cours plus énergiquement avec l’empereur Nicolas, que la guerre de Crimée faisait encore reculer un instant, et dont l’insurrection polonaise vient de déterminer une nouvelle et redoutable explosion. Il ne faut pas s’y tromper aujourd’hui : il s’agit de l’extermination de la Pologne ou de sa reconstitution en société Indépendante. Si la Pologne seule avait à souffrir de l’extermination,