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Biervliet, la patrie de Beukels, l’inventeur de la méthode hollandaise d’encaquer le hareng, la marée était basse ; devant le port s’étendait à perte de vue un immense schorre non encore endigué, c’est-à-dire un relais limoneux Complètement couvert de plantes salines, qu’un grand troupeau de moutons broutait avec avidité. Un étroit canal ou plutôt une rigole presque à sec ouvrait encore une dernière communication avec la mer. Deux navires y gisaient couchés sur la vase ; quelques ouvriers étaient occupés à enlever du chenal le limon déposé par la dernière marée, afin que les bâtimens pussent repartir avec le reflux. L’inanité de ce labeur serrait le cœur. Dans quelques années, tout sera fini, car l’homme est impuissant contre le lent et irrésistible travail de la nature ; qui poursuit silencieusement le cours de ses éternelles transformations. Ainsi meurent les ports que la mer abandonne, et le même phénomène se reproduit partout en Zélande. Une tradition locale rapporte que, des pêcheurs ayant pris une sirène dans leurs filets, son époux désolé les suivit, demandant avec larmes qu’on lui rendît sa compagne. Les marins ne l’écoutèrent pas. Alors le glauque enfant de l’Océan plongea, reparut, et lança dans le port une poignée de sable et d’herbes marines : « Malheur à vous, s’écria-t-il, car cette boue que je viens de jeter dans les flots comblera vos havres et vos bassins, et dans vos villes il ne restera debout que les tours des églises. » La prédiction menaçante se réalise en effet, et Middelbourg elle-même, cette capitale si fière jadis de ses grands navires des Indes et de ses vaisseaux de guerre, n’est pas épargnée. Heureusement l’agriculture gagne ce que perd le commerce, et bientôt le chemin de fer qui reliera la Zélande au continent par une ligne non interrompue ouvrira à l’activité de tous des voies de communication perfectionnées ! Nous pouvons dire avec le poète Ewoud, l’auteur de la Walchersche Arcadia : « Terre merveilleuse, où l’Océan se solidifie, et où fleurs, arbres et moissons couvrent ce qui était naguère un golfe profond, toi que les flots et les vents menacent en vain, tu ne périras point, car l’Océan, ton éternel ennemi, étend tes limites, et sans cesse tu grandis dans la lutte ! »

Mais il est temps de quitter la Flandre des États. Un bateau à vapeur ou une barque nous transportera bien vite, au-delà du grand bras de l’Escaut, qu’on appelle de Hond (le chien), dans la Zélande proprement dite. Quand on passe dans ces bras de mer qui séparent les différentes îles, le rivage prend un aspect d’une uniformité fatigante. Il est partout défendu par de hautes digues gazonnées qui arrêtent la vue, et que dominent seulement à de rares intervalles la flèche aiguë d’une église, le grand toit rouge d’une grange ou la tour des grands fours où l’on fait sécher la garance. On dirait qu’on