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que leurs frères de Hollande, de Frise ou de Zélande, parce qu’ils ont sur la ferme qu’ils exploitent une sorte de droit particulier qui représente déjà un capital considérable. En outre, le fils aîné héritant ordinairement de ce droit, ils s’efforcent de réunir d’autres capitaux placés en fonds publics, et destinés à former la part des cadets ou la dot des filles. Souvent, comme les grands fermiers lombards, ils envoient un de leurs fils étudier à l’université, et ici ce n’est pas un mince sacrifice, car dans ce pays riche les habitudes sont fastueuses, et on estime que tout étudiant, coûte à ses parens au moins 4,000 francs par an. Ces cultivateurs sont à la tête du pays ; aucune classe ne s’élève au-dessus d’eux. C’est parmi eux qu’on choisit presque tous les membres des différens corps électifs et même ceux qui vont représenter la province aux états-généraux. Le soin de leur culture ne les empêche pas de prendre une part active à la vie politique et à l’administration de la chose publique. Ils suivent non-seulement les progrès de l’art agricole, mais aussi le mouvement de la pensée moderne. Ils entretiennent à Haren, près de la ville de Groningue, sous la direction d’un agronome distingué, M. J. Boeke, une excellente école d’agriculture, fréquentée par plus de quarante élèves; nulle part peut-être l’instruction n’est aussi universellement répandue dans les campagnes. En tout, la Groningue passe, pour la province la plus avancée de la Néerlande. Elle forme une espèce de république habitée et gouvernée par une classe de paysans riches et éclairés, complètement guéris de tout esprit de routine. On ne voit nulle part ici les tourelles du château féodal dominer les arbres des grands parcs, et on chercherait en vain ces aristocratiques existences dont s’enorgueillissent les campagnes britanniques. Les bonnes maisons des fermiers sont les seuls châteaux, et toutes se ressemblent. La richesse est également distribuée et presque toute celle que la terre produit reste aux mains de ceux qui la cultivent. Le bien-être et le travail sont partout associés; l’oisiveté et l’opulence ne le sont nulle part.

La plupart de ces fermiers s’occupent des débats théologiques; beaucoup d’entre eux appartiennent à la secte des mennonites, qui sont les quakers de la Hollande. Sur la route qui relie les deux beaux village d’Usquert et d’Uythuysen, j’avais remarqué, situées à la suite l’une de l’autre, quatre fermes magnifiques. Je demandai à l’hôte de l’auberge où je m’arrêtai à qui elles appartenaient. « A des mennonites, me répondit-il; ils sont à leur aise : chacun doit avoir au moins trois tonnes. » J’avais entendu dire qu’il n’y a point de pauvres parmi les membres de cette confession; je m’informai s’il en était ainsi dans ce district, « Oui, reprit l’hôte; ils n’avaient qu’un pauvre, mais il vient de mourir : ils n’en ont plus. » Les mœurs sévères, l’ardeur au travail et la charité mutuelle bannissent