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Si l’on veut saisir en un vivant tableau les preuves irrécusables de l’aisance qui règne dans ces campagnes, il faut visiter les villes de Groningue ou d’Appingadam un jour de marché. De toutes parts on voit arriver les riches fermiers des environs dans leurs légères voitures attelées de deux bons chevaux noirs. La rapidité de la course de ces innombrables chariots aux formes pittoresques et aux vives couleurs donne aux routes une animation joyeuse. Les nombreux canaux sont trop étroits pour les bateaux qui viennent déposer sur les quais les abondans produits des pâturages et des terres à labour. De grands troupeaux de bœufs encombrent les rues. Tandis que les hommes festinent largement dans les auberges et ne ménagent pas le vin, dont le prix est exorbitant, les femmes envahissent les magasins, portant fièrement sur la tête un casque d’or que voilé en partie un léger bonnet de dentelles. A voir miroiter au soleil le métal poli de ces coiffures guerrières, on croirait apercevoir toute une phalange de ces vierges aux armures d’or qui, dans l’antique mythologie germanique, présidaient aux combats. Le soir, au retour, des luttes de vitesse s’engagent, les voitures cherchent à se dépasser, et malgré le danger ces fières walkyries excitent elles-mêmes les chevaux afin de soutenir l’honneur de leur écurie ou de leur village.

Nulle part je n’ai vu plus belle terre couverte de plus riches produits que dans les polders de Finsterwolde près du Dollard. Le Dollard est un golfe qui s’est formé du XIIIe au XVIe siècle, les flots de la mer enlevant successivement la région tourbeuse qui réunissait autrefois le Hanovre à la Groningue vers l’embouchure de l’Ems. Depuis le XVIe siècle, le limon qui se dépose comble peu à peu ce golfe, et déjà quatre digues construites l’une en avant de l’autre montrent les conquêtes faites de temps à autre sur la mer. L’année même où je visitais ces districts, en 1862, je vis élever une digue nouvelle de deux lieues de long, qui ajoutait 2,000 hectares au domaine agricole de la province. Les derniers polders de Finsterwolde ne datent eux-mêmes que d’une vingtaine d’années, et conservent encore en grande partie leur fécondité primitive. Je les parcourais au commencement de juin; déjà le colza, courbant ses tiges affaissées sous le poids de ses innombrables siliques, formait sur le sol une couche si épaisse et si égalé que mieux valait pour les lièvres, comme disaient les fermiers, courir au-dessus qu’au-dessous. Les jeunes feuilles de l’orge, qui n’avait pas encore poussé son épi, étaient si larges qu’on aurait cru voir des roseaux. On labourait la terre pour la demi-jachère entre les lignes des féveroles, qui étaient dans toute la beauté de leur première végétation. Un vigoureux jeune homme, bien vêtu et l’air heureux, conduisait d’une main assurée