Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le charme des femmes consiste dans leurs vertus pratiques innées et dans la bonne grâce qui ne leur manque jamais pour accepter et accomplir les fonctions auxquelles leurs instincts les appellent. Cette jeune Thérèse est née ménagère, cette jeune comtesse Nathalie est née sœur de charité. Voilà qui est bien peu romanesque, sans doute. Cependant ces instincts terrestres ne pourraient-ils pas s’épanouir en vertus poétiques ? Le bien contient en germe l’utile ; mais l’inverse ne serait-il pas vrai aussi, et de l’utile le beau et le bien ne pourraient-ils sortir ? Le point de départ de tous ces personnages, c’est donc l’utile et le réel. Un philosophe antique comparait l’homme à un arbre dont la tête serait la racine et qui croîtrait de haut en bas au lieu de croître de bas en haut, voulant faire » entendre par là que l’origine de l’homme est céleste. Les racines des personnages de Wilhelm Meister sont au contraire fixées dans la terre ; c’est en elle qu’ils puisent la sève morale qui éclate en actes généreux et en belles maximes.

L’idéal et la poésie sont cependant représentés dans ce livre par deux personnages : le harpiste et Mignon ; du moins ces deux figures sont les seules que les habitudes contractées par notre imagination et pour ainsi dire les mœurs contractées par notre goût littéraire nous permettent d’appeler poétiques. Ces deux figures sont essentiellement poétiques ; nous éloignent-elles beaucoup de la réalité ? Non ; au contraire elles nous en rapprochent en un sens peut-être plus que toutes les autres. Il semble que Goethe ait voulu montrer par cet exemple combien l’idéal pouvait être acquis à meilleur compte que nous ne le pensons. La plupart des poètes font des efforts extraordinaires pour le conquérir : ils fouillent les terres et les mers, interrogent les oracles du passé, inventent des îles inconnues, et tout cela sans grand résultat. Goethe n’a pas besoin d’aller si loin pour trouver l’idéal : à l’instar de Wilhelm, il le ramasse sur la grande route ou l’achète à une foire de village. Une petite créature équivoque et bizarre élevée parmi des saltimbanques, un vieux vagabond mélomane autour duquel on flaire une vague odeur de crime, suffisent pour ouvrir à l’imagination l’empire des rêves et pour créer autour des autres personnages du livre, habitués à vivre dans un air plus épais, une atmosphère de poésie. C’est le hasard qui a mis ces deux créatures dans les mains de Wilhelm ; mais ce hasard est si peu extraordinaire que pareille fortune pourrait échoir au premier venu, et qu’il n’est aucun de nous qui n’ait eu peut-être dix fois l’occasion de faire l’emplette de l’idéal à aussi bon marché.

Et pourtant, quoiqu’il soit ramassé au milieu des fanges du chemin et parmi les broussailles les plus sauvages de la vie réelle, c’est bien ce que nous appelons l’idéal poétique ; on le reconnaît à l’insondable