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avec le cours des siècles, devenus de plus en plus nombreux, de plus en plus puissans, ils étendirent leurs frontières jusqu’aux territoires de Kohistan-i-Kaboul, de Kandahar et de Ghuznee.

Plus de quinze cents ans s’étaient écoulés depuis la mort de Suleïman, lorsque les Afghans entendirent parler pour la première fois d’une croyance nouvelle qui allait devenir la leur. Un Israélite qui, après la dispersion du peuple juif, s’était établi en Arabie, et que Mahomet avait compté au nombre de ses premiers disciples, fut l’instrument de leur conversion. Il leur notifia l’avènement du dernier des prophètes, et ils lui députèrent à Médine, pour s’entendre avec lui, une députation de leurs anciens, conduite par Kais, le plus pieux et le plus savant docteur de la nation. Ces sages adoptèrent avec enthousiasme la religion nouvelle, et déployèrent un zèle assez ardent pour mériter les récompenses spéciales du prophète, qui témoigna sa satisfaction à ces Hébreux convertis en leur donnant des noms arabes et en leur promettant que le titre de malik (prince), qu’ils avaient donné jadis à Saül[1], ne leur serait jamais enlevé. De là vient que le chef de chaque fraction de tribu afghane s’enorgueillit de le porter encore aujourd’hui.

De retour chez ses compatriotes, Kais travailla sérieusement à les convertir, et fit faire quelques progrès à l’islamisme; mais il est à croire que les Sarrasins, qui, portant de tous côtés le fer et la flamme, traversèrent le pays des Afghans pour se jeter sur la vaste péninsule indienne, furent pour beaucoup dans le succès de son apostolat. Quelques tribus cependant, retranchées dans des solitudes inaccessibles, laissèrent passer le torrent et gardèrent encore longtemps leur foi primitive, lisant le Pentateuque (Tauret-Kwan) et obéissant aux prescriptions de la loi mosaïque.

De l’ère mahométane datent les premières données un peu positives qu’on puisse avoir sur l’histoire politique des Afghans, ou, pour leur donner le nom qu’ils s’attribuent, de la nation puchtanah[2]. Kais eut trois fils, auxquels font remonter leur généalogie toutes les deux cent soixante-dix-sept tribus ou khails qui constituent le pur noyau de la race. Ceux de nos lecteurs qui s’intéresseraient à l’histoire de ces trois fils (Saraban, Batan et Gurghusht) et à la chronique particulière des Sarabanai, Batanai et Gurghushtai pourront recourir à l’ouvrage de M. Bellew. Nous n’en voulons tirer, quant à nous, que ce fait spécial d’une certaine valeur pratique : la prédominance

  1. Ils l’avaient surnommé malik-twalut, prince de la stature ou prince altesse.
  2. Ce mot, dérivé, selon les uns, de l’hébreu, du syriaque selon les autres, correspond à l’idée de « peuple affranchi. » Le mot afghan offre précisément le même sens, s’il est vrai que la mère de cet Afghana dont nous venons de parler l’ait ainsi nommé d’après le cri qu’elle avait poussé en le mettant au monde à la suite d’un accouchement laborieux : «Afghana! » c’est-à-dire, je suis délivrée!