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d’une race à part sur d’autres races qui parlent le même langage, qui ont des origines probablement identiques, professent le même culte, observent les mêmes lois. Il y a là une tradition juive, un reflet de ce dogme qui nous présente les Hébreux comme une race élue entre toutes pour être le peuple de Dieu. Ajoutons que le type juif et le type afghan, surtout dans les tribus nomades qui habitent le nord du pays, offrent une frappante analogie. Mêmes traits de ressemblance dans certaines coutumes traditionnelles. L’immolation de l’agneau pascal se retrouve dans les sacrifices que les Afghans offrent à Dieu en cas de maladie ou de tout autre mauvaise chance, arrosant du sang de la victime le seuil et les montans de la porte qui donne accès dans la maison atteinte par le fléau. Un village est-il menacé de contagion, ils chargent en grande cérémonie du fardeau des péchés de la communauté la tête d’un buffle ou d’une vache qu’ils chassent ensuite dans le désert, au bruit des tambours et des clameurs poussées à l’envi par le peuple et les prêtres. Ici reparaît le « bouc émissaire » des Juifs. Le blasphémateur, chez les Afghans comme chez les sectateurs de Moïse, est lapidé hors de l’enceinte habitée sur laquelle ses paroles impies appellent la vengeance divine. Le suppliant ou celui qui demande réparation d’une injure se présente devant les arbitres de son sort, portant sur la tête, en signe de soumission, un vase rempli de charbons ardens. Encore une coutume d’Israël : l’allotement égal des terres entre les diverses familles d’une tribu se fait chez les Afghans comme on le voit décrit au dernier chapitre du livre des Nombres, et il a pour conséquence que les mariages se contractent fréquemment entre membres de la même tribu, pour ne pas aliéner, en s’unissant au dehors, une partie de l’héritage commun. Dans le sein de la tribu s’accomplissent aussi, en vertu de stipulations d’ailleurs tout à fait volontaires, des échanges de domaines, motivés par la valeur inégale des terres allouées à chaque famille. Tous les cinq, tous les dix ans, suivant la coutume, les terres passent d’une main dans l’autre, et au bout d’un certain laps de temps chacun a possédé tour à tour les bonnes et les mauvaises portions du sol commun. De là des émigrations qui se font par villages entiers, et à la suite desquelles le territoire occupé à nouveau se répartit entre les familles survenantes au moyen d’un nouvel allotement que les Afghans appellent tantôt pucha, tantôt purra. Ce dernier mot est d’origine juive[1].

En voilà bien assez pour justifier jusqu’à un certain point le célèbre orientaliste William Jones, qui reconnaissait chez les Afghans un rameau égaré de la souche israélite, opinion repoussée dédaigneusement

  1. Pur en hébreu, lot, quote-part, — d’où la fête commémorative du Purim.