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chapelle gothique dont les parties pleines auraient disparu, et dont il ne resterait que les fuseaux, les nervures et les ornemens. C’est une cage à jour délicatement, ciselée, richement décorée. Jusque-là tout est moyen âge, et même un bon nombre de bizarreries attestent le goût hasardé, bigarré, qui présidait alors à la conception et au choix des détails. Par exemple, tout l’édifice est supporté par des colimaçons; mais à tous ses étages il est flanqué de statuettes, et celles-ci appartiennent à l’art le plus pur et le plus élevé. Les petits anges ou plutôt les petits génies qui rampent sur les rebords des corniches n’ont rien de cette maigreur raide et pauvre que les artistes du Nord infligent même à l’enfant Jésus. Ce sont de gros et joyeux enfans qui se jouent avec beaucoup de vie et de grâce, et quant aux figures allégoriques, surtout aux figures des apôtres, elles sont conçues et exécutées comme devraient l’être les statues de Saint-Pierre de Rome. Elles ont la dignité, le sérieux, la noblesse, le calme et l’aisance des attitudes, cette ampleur, cette largeur qui se montrent jusque dans les plis des draperies, et que l’art gothique n’a guère connues. Évidemment Pierre Vischer est de la famille des artistes de premier ordre. Au nombre de toutes ces figurines, il a mis la sienne et celle de ses deux fils. Parmi les petits génies nus, on en voit un aussi dont la tête doit être un portrait et. que distingue entre tant d’autres une chevelure coupée, comme on disait il y a quelque temps, à la Perrinet Leclerc ; mais l’image la plus curieuse est celle de l’auteur lui-même. Elle est très populaire en Allemagne, partout modelée en terre cuite, en biscuit, dessinée ou photographiée. C’est un bon gros ouvrier en tablier, le bonnet enfoncé jusque sur les oreilles. Il a plus l’air d’un forgeron que d’un successeur de Phidias ou de Polyclète. Et cependant cet artisan buveur de bière a vu de ses deux yeux dans son atelier enfumé se dessiner les formes sévères du genre de beauté que revêt l’idéal dans l’imagination des artistes de l’école de Platon.

Voilà donc deux artistes, Albert Durer et Pierre Vischer, qui nous apprennent comment, en conservant le caractère national, l’art germanique pouvait se hausser au pur et vrai beau. Je les cite, parce qu’ils ont eu peu d’imitateurs, ou parce que ceux qui ont fait effort pour marier l’Italie à l’Allemagne sont en général devenus des classiques plus ou moins corrects, plus ou moins élégans, mais effacés, indécis, faisant peu d’impression et laissant peu de souvenirs. Après Albert Dürer, le premier peintre de la Souabe est Hans Holbein. L’auteur exact de ces portraits secs et vrais, qui portent les signes d’une ressemblance incontestable, était plus en droit de s’en tenir à la manière allemande; mais, quoiqu’à Munich il n’ait que des portraits, c’est un peintre d’histoire, et comme il en est peu dont la main