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d’un avenir si éloigné. Cette question n’est pas de notre temps. Il est assurément plus sage de modérer l’enthousiasme qu’excitent en ce moment chez quelques personnes les projets de navigation aérienne. D’ailleurs il n’est pas sans inconvénient, disons-le bien haut, d’annoncer de nouvelles expériences en s’en promettant des résultats hyperboliques. L’esprit public, entraîné par de trompeuses espérances, accorde moins d’attention aux découvertes plus réelles et plus utiles qui n’ont pas l’appât du merveilleux. Puis la foule se dégoûte des projets exagérés aussi vite qu’elle s’en est éprise. Il est possible que les hommes qui se sont mis à la tête de l’agitation aérostatique obtiennent quelque effet curieux; mais il n’est pas douteux qu’ils ne sauraient satisfaire à leur programme. L’Aéronaute, nouveau journal fondé pour servir d’organe aux défenseurs de la navigation aérienne, porte en tête de sa première page un frontispice fantastique qui représente un navire aérien manœuvrant en liberté au milieu des nuages. Nous pouvons affirmer hardiment que ce résultat imaginaire ne sera pas atteint par les moyens qu’on se propose d’employer. Peut-être ces infatigables inventeurs trouveront-ils quelque perfectionnement inattendu, quelque amélioration réelle. Le public ne leur en saura aucun gré, parce qu’ils n’auront pas tenu tout ce qu’ils promettaient. Ce sera une juste punition de la témérité de leur entreprise et un enseignement pour les inventeurs à venir qu’il faut se contenter d’un programme modeste et se garder de promesses inconsidérées.

Swift raconte qu’au pays de Lupata un voyageur nouvellement débarqué vit flotter au-dessus de sa tête une espèce d’île habitée par des hommes qui avaient l’art et le pouvoir de la hausser, de l’abaisser et de la faire marcher à leur gré. Ce voyageur (c’était Gulliver) eut le bonheur d’être reçu dans l’île volante, et put examiner de près le mécanisme qui la soutenait en l’air. Il est à regretter que la description qu’il nous en a laissée ne suffise pas pour reconstruire un semblable appareil. Il y a, ce me semble, sous la fable de ce récit, une vérité qu’il est opportun de mettre en lumière. L’île n’était peuplée que de mathématiciens et de philosophes, tandis que le vulgaire ignorant, qui n’avait sans doute pas été capable d’imiter cette machine, se traînait péniblement à la surface de la terre, occupé nuit et jour à des découvertes insensées. Nos rêveurs ne pourraient-ils conclure de cette fable ingénieuse que la navigation aérienne ne peut être fondée que sur la science? Quand ce seront les savans qui monteront dans la nacelle au lieu de rester sur le sol, il n’est pas certain que l’aérostation fera de rapides progrès; mais peut-être les projets raisonnables seront-ils seuls soumis à la discussion et seuls encouragés.


H. BLERZY.