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d’originalité; la réponse de son contradicteur l’emporta par l’énergie de l’argumentation.

Dans les réflexions sur le Droit de punir et la Peine de mort, sur les Forçats libérés et les Peines infamantes, ce n’est plus un métaphysicien, mais un criminaliste de premier ordre. M. de Broglie y maintient en principe la peine de mort, mais comme une nécessité funeste, qui risque à tout instant de devenir illégitime, et dont tout législateur digne de ce nom doit travailler constamment à purger son ouvrage. Il repousse avec force les peines infamantes qui existaient encore, comme la marque et le carcan, et montre les difficultés et les dangers de la colonisation pénale. Depuis la publication de ces deux manifestes, la réforme du code pénal s’est accomplie, et M. de Broglie lui-même a eu le bonheur d’y participer; la marque et le carcan ont été abolis, la peine de mort est plus rarement prononcée par la loi. C’est là un de ces bienfaits du gouvernement de 1830 dont on parle peu, mais qui restent dans la législation et dont profitent à jamais les générations futures. Depuis 1848, une réaction s’est déclarée en sens contraire : la société française, effrayée par les désordres qui ont éclaté dans son sein, s’est rejetée avec violence vers la répression. Une peine nouvelle, la déportation à Cayenne, a été appliquée aux forçats, par simple mesure administrative d’abord, et ensuite par la loi. Le moment ne paraît pas venu d’étudier dans ses détails cette expérience; mais il ne peut manquer de venir tôt ou tard, et on fera bien alors de se reporter à ce qu’en a dit d’avance M. de Broglie en 1828 d’après Bentham et les premiers criminalistes.

Dans les études sur la juridiction administrative et sur la piraterie, c’est un jurisconsulte, un légiste consommé, qui définît avec un soin scrupuleux l’origine et la nature de ce qu’on appelle le contentieux administratif et qui circonscrit dans ses véritables limites le crime de piraterie pour ôter à la répression tout caractère arbitraire, montrant ainsi son profond respect pour tous les droits, même ceux des pirates. — Enfin, dans l’article sur l’Art dramatique en France, à propos de la traduction en vers d’Othello par M. Alfred de Vigny, c’est un critique plein de goût qui discerne le beau partout où il est, sans système et sans parti pris. On était au plus fort de la grande lutte entre les classiques et les romantiques. M. le duc de Broglie et ses amis avaient donné à cette querelle ses principaux alimens en publiant des traductions littérales des théâtres étrangers. Shakspeare surtout avait la vogue parmi les novateurs comme le plus éloigné des formes régulières de nos propres auteurs dramatiques. Faire jouer sur le Théâtre-Français, sur le théâtre de Molière et de Racine, une traduction d’Othello dans toute sa rudesse primitive,