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Soult de lui proposer un nouveau cabinet. Le maréchal pensa tout d’abord à M. le duc de Broglie ; il était absent de Paris. On le fit venir de sa terre de l’Eure, où il passait l’automne, pour se concerter avec lui. « Il se montra disposé, dit M. Guizot dans ses Mémoires, à accepter, sous la présidence du maréchal Soult, le ministère des affaires étrangères; mais dès le premier moment il fit de mon entrée dans le cabinet la condition sine quâ non de son acceptation. Le maréchal, les ministres anciens et nouveaux, le roi lui-même, furent troublés. Tous me faisaient l’honneur de tenir sur moi personnellement le meilleur langage ; mais j’étais si impopulaire ! j’avais servi la restauration! j’étais allé à Gand! j’avais profondément blessé le parti révolutionnaire en attaquant non-seulement ses excès, mais ses principes! Le duc de Broglie fut inébranlable. »

Cette honorable fidélité finit par l’emporter, et le ministère du 11 octobre 1832 se forma. M. le duc de Broglie y entrait comme ministre des affaires étrangères, M. Guizot comme ministre de l’instruction publique, M. Thiers comme ministre de l’intérieur, sous la présidence du maréchal Soult. La grande insurrection des 5 et 6 juin était encore toute récente ; il fallait à la fois tenir tête à de nouveaux assauts et achever dans ses détails l’organisation laborieuse du nouveau gouvernement. Le ministère du 11 octobre pourvut à tout. Parmi ses œuvres, il suffit de citer les deux lois qui font le plus d’honneur à la monarchie de 1830, soit dans l’ordre moral, soit dans l’ordre matériel : la loi sur l’instruction primaire et celle sur les chemins vicinaux. En même temps il pacifiait la Vendée et livrait bataille aux sociétés secrètes à Lyon et à Paris.

A l’extérieur, M. le duc de Broglie trouva une situation difficile. Le ministère de Casimir Perier avait préservé la France de la guerre générale ; mais les rapports diplomatiques restaient toujours violemment tendus. L’Angleterre seule montrait quelques sympathies pour la France; les trois cours du Nord, toujours unies par une étroite alliance, se tenaient dans une réserve ombrageuse et menaçante. L’empereur de Russie surtout, héritier fastueux de l’ascendant que les événemens de 1815 avaient donné à son frère en Europe, affectait en toute occasion des airs d’insolence qui blessaient le sentiment national. La révolution de Pologne, après une lutte héroïque, avait succombé depuis un an, sans que la France, occupée d’elle-même, eût pu venir à son secours; les essais d’insurrection en Italie n’avaient pas beaucoup mieux réussi. Une seule des révolutions tentées à la suite de la nôtre, celle de Belgique, avait survécu, grâce au concours qu’elle avait reçu de nous, mais les dernières difficultés n’étaient pas vidées.

Le ministère du 11 octobre débuta par un acte de vigueur. Il