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Sacrifions donc Thérèse à Rousseau sans trop de scrupule, car Rousseau s’est trop sacrifié pour elle, et cela n’est pas juste. La postérité ne doit pas accepter cette immolation sublime et puérile, cet excès de générosité insensée dont l’inimitié et l’hypocrisie ont fait et font encore leur cri de triomphe. Ou Rousseau n’était pas le père des enfans que Mlle Levasseur a laissé mettre à l’hôpital, ou il avait pleinement le droit de croire qu’il ne l’était pas. Qu’on se donne la peine d’en rechercher des preuves irrécusables, on les trouvera. Que n’ai-je vingt ans et la liberté, c’est-à-dire le temps! je consacrerais ma vie, s’il le fallait, à découvrir ces preuves de la véritable opinion de Rousseau sur Thérèse dans les premières années de leur intimité. Combien de jeunes gens s’épuisent en de stériles essais littéraires, quand il y a dans le passé tant de mystères à découvrir pour redresser le présent et pour éclairer l’avenir!

Une découverte a été récemment publiée sur le genre de mort de Rousseau, et nous ne devons pas clore nos réflexions sur sa vie sans dire quelques mots de cette découverte. Nous avons cru d’après Corancey et Mme de Staël au suicide de Rousseau. D’après de nouvelles informations, nous ne devons plus croire au coup de pistolet. Le masque moulé en plâtre par Houdon n’offrait, d’après des témoignages certains, que la trace d’une légère égratignure. Reste l’hypothèse du poison, qui n’est pas détruite, et celle d’un épanchement au cerveau, résultat du violent chagrin qui saisit Rousseau en découvrant la honteuse infidélité de Thérèse.

Les hypocrites triomphent encore de ceci, que Rousseau, après avoir éloquemment combattu le suicide, a couronné par le suicide le système de contradictions de sa philosophie. La condamnation du suicide par Rousseau tombe du plus haut possible, c’est-à-dire du sommet de son génie, de sa raison, de sa conscience. Que, malade, épuisé, égaré par un moment de désespoir et d’indignation, il ait attenté à sa vie, il n’y a là ni crime prémédité contre la loi divine qui fait de la vie une chose sacrée, ni abandon raisonné de ses propres principes. Qu’on relise sur tout cela non pas le mieux écrit, mais le mieux étudié et le plus substantiel des commentaires sur la vie, les écrits et la mort de Rousseau, dans l’édition de M. Musset-Pathay. C’est encore le travail le plus complet, le plus fervent pour guider l’opinion et rassurer le cœur sur le compte de l’immortel auteur des Confessions. Il y a parti-pris de le justifier, dira-t-on : nous ne le nions pas; mais ce sont les avocats les plus convaincus qui trouvent les raisons les plus fortes.

Nous voici bien loin des Charmettes, et la vilaine femme de Rousseau, comme l’appelaient les contemporains de sa vieillesse, nous a trop fait oublier sa belle maman, Mme de Warens. En traçant son