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un amateur, un dilettante de la plus grande distinction, qui s’était voué au culte d’un souvenir adoré. L’image de Beata était vivante dans son cœur. Le chevalier n’en parlait jamais, mais ses doctrines et les principaux actes de sa vie étaient inspirés par cet amour profond dont j’ai raconté les vicissitudes. Il portait sur lui, nuit et jour, un médaillon en or qui renfermait une mèche de cheveux que Beata lui avait donnée quelques instans avant de rendre le dernier soupir, Au moindre mot qui avait trait à ce souvenir sacré, son âme frémissait comme un instrument harmonieux au souffle de la brise. Rêveur plein de grâce, poète et philosophe contemplatif dont la belle intelligence se nourrissait, comme l’abeille, des fleurs de l’esprit humain, le chevalier Sarti était parvenu au milieu de sa carrière lorsqu’il fit la connaissance de la famille de Narbal.


I

À quelques lieues de la ville de Manheim, tout près d’Heidelberg, dans cette contrée délicieuse qu’arrose le Neckar, se trouve une ancienne résidence princière qui se nomme Schwetzingen. Elle se compose d’un palais et d’un parc baigné par un beau lac. Derrière le bois qui couronne le jardin de Schwetzingen, résidence d’été de l’ancien électeur Charles-Théodore, on remarquait une très belle maison de plaisance qui avait appartenu à un ancien ministre de ce prince généreux. Il l’avait fait bâtir dans un style tout italien qui rappelait celui des casini des bords de la Brenta. Cette maison spacieuse avait aussi un beau jardin à la suite duquel venait un petit bois qui touchait à celui de la résidence. Enveloppée ainsi dans un massif de verdure vigoureuse, cette belle habitation au toit si riant, qu’entourait une balustrade légère, semblait exprimer un souvenir, un regret de la contrée bienheureuse où fleurissent les citronniers, La maison était habitée par Mme la comtesse de Narbal, petite-fille du ministre de Charles-Théodore. D’origine italienne par sa grand’mère, dont la beauté avait été célèbre à la cour de l’électeur, Mlle de Schönenfeld avait épousé le comte de Narbal, émigré français, que le chevalier Sarti avait connu à Venise dans les dernières années qui ont précédé la chute de la république. Mme de Narbal avait apporté une assez grande fortune à son mari, que la révolution avait complètement ruiné, et cette union, formée par les convenances et l’esprit politique, avait été heureuse. M. de Narbal était mort en 1814, avant la restauration des Bourbons sur le trône de France. Restée veuve avec une fille unique et une belle existence, Mme de Narbal avait attiré chez elle deux de ses nièces, dont elle dirigeait l’éducation. Le chevalier Sarti fut introduit dans cette maison par