Fanny, fille unique de Mme de Narbal, était la plus âgée des trois. Son esprit juste et réfléchi s’était développé de bonne heure par de fréquens voyages où elle avait accompagné son père, qui avait pour elle une affection extrême. D’une taille ordinaire, mais bien dessinée et souple dans ses mouvemens gracieux, Fanny avait beaucoup de simplicité dans les manières, quoiqu’elle ne se livrât pas volontiers aux hasards de la conversation. À sa démarche un peu traînante, à l’expression de ses beaux yeux larges, languidi et lumineux, entourés d’une sorte d’auréole d’or qui en faisait mieux ressortir le scintillement, à son teint chaud et un peu cuivré comme celui de sa mère, on aurait dit que Fanny était née plutôt dans les pays où croissent le myrte et les sycomores que dans un coin de la froide Allemagne. Elle avait en effet l’indolence, les mouvemens de tête et la physionomie expressive d’une femme du midi, particulièrement d’une créole. Fanny parlait fort bien l’espagnol, et elle avait emporté de la Péninsule, qu’elle avait visitée plusieurs fois, des souvenirs charmans, dont le caractère n’était pas bien défini. Elle nourrissait l’espoir de revoir un jour ces belles contrées qui lui avaient laissé une impression ineffaçable aussi bien au physique qu’au moral, car elle était frileuse comme une plante exotique, dont le tissu délicat se contracte aux moindres variations de l’atmosphère. Sans être très bonne musicienne, Fanny chantait avec sentiment, et sa voix de contralto était agréable, bien que peu étendue. Elle préférait la musique italienne à la musique allemande, et celle des maîtres anciens aux compositions plus modernes. Un duo d’un vieil opéra italien, la Cosa rara de Martini, que son père lui avait appris dans son enfance, lui était resté gravé dans la mémoire comme un pieux souvenir qu’elle aimait à évoquer. Il éveillait en elle, ce morceau qu’elle n’avait jamais entendu chanter que par son père, un ordre d’idées et de sentimens dont elle aurait voulu vivre toujours. Il lui semblait que ces paroles bien simples et la mélodie touchante qui les accompagne,
Pace, mio caro sposo !
— Pace, mio dolce amore !
— Non sarai piu geloso ?
— No, nol sarò, mio cuore,
la transportaient dans un monde mieux approprié à sa nature expansive, loin du cercle étroit où elle languissait comme un oiseau expatrié. Il y avait quelque chose du caractère de Mignon dans Fanny, quelque chose de cet idéal de la zingara voyageuse tant caressée par les poètes allemands de l’école romantique, et dont Weber a chanté les rêveries divines dans son délicieux intermède de