Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/380

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Preciosa. Lorsque Fanny était assise, les mains négligemment croisées sur sa poitrine, enveloppée d’un châle rose qui adoucissait le ton de son visage jaune comme une orange, entr’ouvrant ses lèvres charnues et voluptueuses pour laisser voir deux rangées de dents éclatantes, qui ornaient une bouche un peu grande, on aurait pu traduire l’expression de cette physionomie originale par les mots si connus :

Dahin ! dahin… möcht ich ziehen.

C’est là, là,… dans le pays de la lumière et des nuits sereines, que je voudrais vivre !

Aglaé, fille d’une sœur de Mme de Narbal qui avait une nombreuse famille, était née dans les environs de Strasbourg. C’était une personne agréable, vive, allègre, à la taille élancée comme un jeune palmier dont elle avait la souplesse. Ses belles joues fraîches et purpurines, ses yeux pétillans de jeunesse, le sourire joyeux qui éclairait constamment son visage, son gazouillement d’alouette et l’aimable espièglerie de son caractère faisaient d’Aglaé un type de femme tout différent de celui de Fanny. Le sérieux manquait un peu à cette nature gracieuse. Sa voix de soprano limpide, mais dépourvue d’émotion, ne se prêtait qu’à la musique légère de l’école française, dont Aglaé parlait la langue presque sans accent. Il ne fallait pas l’assujettir à des travaux trop pénibles, à des études prolongées auxquelles répugnait son esprit mobile, qui recherchait avant tout les distractions du monde. De formes élégantes, aimant la parure et les propos aimables de la galanterie, Aglaé était plus accessible aux flatteries de la vanité qu’aux séductions du sentiment. Son instruction était superficielle, et la musique, qu’elle avait apprise tant bien que mal pour complaire au désir de sa tante, ne lui plaisait que comme un objet d’agréable distraction pour la société, où elle voulait briller, s’épanouir et répandre ses plus doux parfums. Aglaé avait plutôt les fragilités, les goûts et la coquetterie d’esprit d’une Française que la tendresse et la simplicité contenue d’une Allemande. Aussi fut-elle la première à exprimer à ses deux cousines l’impression que lui faisait le chevalier et à accueillir ses paroles d’un sourire de satisfaction qui ne signifiait pas autre chose que le plaisir de voir la maison de sa tante égayée d’un personnage de plus. Elle en espérait de belles histoires qui vaudraient mieux que les entretiens ordinaires des amis connus de Mme de Narbal.

Après un échange de regards muets entre les trois jeunes filles et de quelques paroles insignifiantes, le chevalier se retira avec M. Thibaut, qui partit le soir même pour Heidelberg. Le chevalier revint quelques jours après, et des relations plus franches s’établirent peu