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laissaient échapper tout le sang de la vie. Maintenant on trouve beaucoup plus avantageux de livrer des vaches en proie aux sangsues. Effaré, hagard et néanmoins résigné, le lourd animal subit avec un étonnement stupide les attaques des suceurs attachés en grappes à son ventre et à ses jambes ; mais au moment où il va succomber d’épuisement, on le fait remonter sur la berge, puis on le ramène au pâturage, pour lui faire reprendre un peu de vie et le préparer à fournir un nouveau repas. Ainsi de deux semaines en deux semaines l’animal est mangé en détail, jusqu’au jour de la mort définitive. L’âne, qu’on emploie pour nourrir les jeunes sangsues, est moins résigné que la vache : il se cabre, lance des ruades, essaie de mordre ; puis, quand il est enfin tombé dans l’étang, sous une grêle de coups, il se démène avec terreur. Du reste, ses blessures, comme celles du cheval, restent longtemps ouvertes, et généralement il succombe après avoir été servi deux fois en pâture aux sangsues. Un éleveur d’Audenge, qui possède 4 hectares de marais, y jette chaque année plus de deux cents vaches et plusieurs dizaines d’ânons servant à nourrir 800,000 annélides[1]. On le voit, l’hirudiculture est pour les habitans riverains du bassin d’Arcachon une branche assez importante de l’exploitation générale des eaux.

Quant à l’exploitation du sol, elle a été jusqu’à nos jours assez négligée, sauf dans la petite commune du Teich, et les terrains incultes touchent en plusieurs endroits aux plages du bassin. Depuis un siècle, diverses compagnies, dont quelques-unes ont eu des millions entre leurs mains, ont essayé de mettre en culture des centaines de kilomètres carrés ; mais de leurs travaux il ne reste guère que des plantations d’arbres, un canal hors d’usage et de grandes maisons inhabitées. De même que dans les autres parties des landes, l’énergie individuelle des propriétaires isolés commence à faire sur le pourtour du bassin ce que les riches compagnies n’ont pu accomplir, et, grâce aux avantages que donnent aux riverains la facilité des communications et les rapports incessans avec Bordeaux, on ne saurait douter que l’agriculture et la sylviculture ne se développent bientôt assez rapidement. Chose remarquable toutefois, c’est précisément là où le progrès serait le plus facile à réaliser que l’exploitation du sol se fait de la manière la plus barbare. L’antique forêt de La Teste, qui date probablement de l’époque des Ibères et des Gaulois, et dont quelques parties ont vaillamment résisté, pendant tout le moyen âge, contre les assauts de la mer et des sables,

  1. On expédie chaque année 1,500,000 sangsues des bords du bassin d’Arcachon a Bordeaux. La vache à sangsues coûte 50 francs, et sa carcasse est revendue 20 francs.