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impérial, il est évident qu’elle émane d’une initiative volontaire, qu’elle fait appel au libre arbitre et aux convenances de ceux auxquels ce projet s’adresse. Les politiques savent aussi bien que les philosophes distinguer la différence qui sépare les conseils de la prudence des ordres de la nécessité. Le propre des faits nécessaires, c’est qu’ils s’imposent, c’est qu’ils rallient les jugemens et réunissent les volontés ; le propre au contraire des mobiles d’action puisés dans les raisons de prudence, c’est qu’ils sont soumis à des appréciations et à des interprétations diverses, parce qu’elles demeurent libres. Pour ne prendre qu’un exemple, sur la déclaration qui est le point de départ du projet impérial, des divergences pourront se produire et se produiront infailliblement. Quand l’empereur a dit que les traités de 1815 ont cessé d’exister, son assertion est vraie historiquement parlant ; mais au point de vue juridique elle sera contestée. Historiquement, il est vrai que les combinaisons arrêtées à Vienne ont été modifiées sur des points importans, il est vrai que l’une de ces combinaisons est maintenant ouvertement attaquée par la Russie ; mais au point de vue du droit international il serait inexact de dire que l’Europe est sans régime légal, et que son régime légal n’a pas ses racines dans les actes du congrès de Vienne. Le traité de 1815, si l’on nous permet de mêler le familier au grave, c’est le couteau de Jeannot : ce n’est plus la même gaine, ce n’est plus la même lame, le couteau subsiste. Il est élémentaire que lorsqu’un contrat reçoit des modifications du consentement des parties, ces modifications n’apportent aucune altération à sa vertu et à sa vitalité intrinsèque. Les exemples mêmes cités par l’empereur ont confirmé cette vérité. Il faut écarter l’exemple de la Grèce, car la Turquie n’avait pas pris part aux actes de Vienne ; mais la création de la Belgique et l’avènement de la dynastie napoléonienne sont des modifications matérielles apportées aux traités de 1815 : elles n’en sont point la violation, puisqu’elles ont reçu le consentement et l’adhésion des parties contractantes. De violation actuelle et flagrante, il n’y a que celle que la Russie commet à cette heure même aux dépens de la Pologne ; or, lorsqu’il s’agit d’appliquer la loi au coupable qui la viole, est-il opportun de proclamer l’abolition de la loi ? Des divergences considérables ne manqueraient donc pas d’éclater au point de départ même du débat que l’on veut ouvrir, si la déclaration que les traités de 1815 ont cessé d’exister était portée de la sphère des formes historiques dans la région du droit.

Que sera-ce si de la question de savoir s’il est opportun de donner dans un prochain congrès de nouvelles assises au droit européen, on passe à la définition de l’œuvre qui sera confiée à ce congrès ? L’invitation de l’empereur est fondée sur des raisons de prudence générale, et fait appel aux sentimens généreux des souverains, à leur esprit de désintéressement, de sacrifice, à leurs vertus en un mot. Dans les questions de principes et d’intérêts, on n’a rien fait quand on s’adresse aux hommes au nom de la vertu, car enfin chacun entend pratiquer la vertu à sa manière. Il n’est guère