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a le droit et que c’est son bon plaisir de fouler aux pieds des traités qui ont cessé d’exister, qui, au lieu de se défendre, pourra attaquer, qui pourra répondre Italie, Allemagne ou Danube toutes les fois qu’on lui parlera Pologne. Ainsi voilà les trois grandes questions qui travaillent l’Europe dans les idées, dans les intérêts, dans le sang. On ne veut pas ou on ne peut pas les résoudre sous leur forme la plus simple, par les moyens les plus directs : seront-elles plus faciles à manier et à trancher, si l’on parvient à les entasser en fouillis au sein d’un congrès ?

Quant à nous, nous admirons la naïveté des gens qui attendent de la réunion d’un congrès une sorte de panacée pacifique. Les esprits clairvoyans admettront bien qu’il serait possible que, faute de s’entendre sur un programme préliminaire, le congrès projeté ne fût point réuni. Dans ce cas, les difficultés européennes décrites par l’empereur n’en subsisteraient pas moins : elles seraient aggravées au contraire par les espérances excitées, par les maux dénoncés, par la fermentation générale que l’état présent des choses ne peut manquer d’entretenir. L’insuccès d’une tentative si solennelle n’aurait pas amélioré la situation de la France. Il se peut aussi que l’accueil varié fait à nos ouvertures par les diverses puissances place la France dans une position contradictoire et bizarre. Si par exemple l’Angleterre et l’Autriche montraient, ce qui n’est pas improbable, une grande hésitation à se rendre à un congrès chargé de changer la légalité actuelle de l’Europe, si en même temps la Russie, à laquelle les espiègleries diplomatiques ne coûtent rien, si la Prusse, suivante de la Russie, acceptaient avec empressement le projet impérial, nous nous trouverions dans cette position étrange d’être séparés des puissances avec lesquelles nous avons fait campagne cette année et réunis à celles que nous avons combattues avec une énergie diplomatique incontestable. Par un chassé-croisé tristement comique, partis pour être évêques, nous reviendrions meuniers. C’est en effet la seule utilité pratique des congrès que de nouer ou d’éprouver des alliances. Même ceux qui sont faits après les guerres amènent de singuliers reviremens. N’a-t-on pas vu à Vienne, en 1815, une alliance de la France, de l’Autriche et de l’Angleterre contre la Russie sortir un moment des péripéties du congrès ? Cette alliance fût allée peut-être jusqu’à la guerre, et eût épargné à l’Europe trente-cinq ans de prépotence russe sans le retour de Napoléon de l’île d’Elbe et le terrible épisode des cent-jours. Pour nous, la seule chance heureuse que nous puissions espérer du congrès, s’il se réunit, c’est une franche alliance de la France et de l’Autriche sur la question polonaise, c’est la préparation d’une guerre localisée qui rendrait à la Pologne entière son indépendance. L’intérêt de l’Autriche lui conseille avec une évidence impérieuse de se rapprocher de nous et de rechercher sa sécurité future dans l’émancipation et la constitution d’une grande Pologne. Il est certain en effet que si la lutte ne s’engage point sur le terrain polonais, l’Autriche y prêtant à la France un concours résolu et vigoureux, c’est sur la cour de Vienne que tomberont d’abord les pé-