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décimé par les échafauds de la terreur et les proscriptions de fructidor. Aucun de ces personnages, et Sieyès moins qu’aucun autre, n’entrevoyait un sceptre dans l’épée dont ils se servirent pour conquérir l’ordre et la paix, en renversant un gouvernement de vieux jacobins corrompus sans être corrigés. Ce qu’ils voulaient, ce qu’ils attendaient, ce qu’ils croyaient fermement avoir assuré au pays au prix d’une suspension momentanée de la légalité, ce n’était ni l’omnipotence administrative ni la dictature militaire, mais un véritable gouvernement représentatif où les principes de; la constitution de 91 viendraient s’encadrer dans un mécanisme combiné avec plus d’art et de prévoyance. Cette pensée-là est exprimée dans tous les discours prononcés par les membres des deux conseils au sein de la commission législative; Ce fut donc sans étonnement que le pays entendit l’organe du nouveau gouvernement consulaire dire en présentant à la sanction nationale la constitution de l’an VIII : « La constitution est fondée sur les vrais principes du gouvernement représentatif. La révolution française est fixée aux principes qui l’ont commencée; elle est finie. »

Ces illusions étaient générales, et s’expliquaient d’elles-mêmes. La machine inventée par Sieyès avait l’avantage de différer des constitutions précédentes, et ce fut là son premier mérite aux yeux d’un peuple lassé de tout, même de l’espérance. Cette œuvre, émanée d’un homme qui avait une foi profonde dans son idée, et qui passait pour le plus grand penseur du temps, laissait attendre des résultats entièrement nouveaux du jeu profondément calculé de tous les pouvoirs publics. Quoi d’étonnant que la France s’inquiétât peu des formes assignées à l’édifiée élevé dans des conjonctures si favorables sur un sol jonché de tant de débris? Il aurait été difficile qu’elle comprît alors, comme nous pouvons le faire aujourd’hui, que la constitution de l’an VIII ne pouvait manquer de substituer la paralysie à la fièvre par la multiplicité de ses ressorts. Il ne fallait demander au pays ni de prévoir le prochain avenir d’une chambre de muets accolée à une chambre de bavards, ni de deviner la triste destinée de ce sénat auquel l’acte fondamental, en l’armant de droits politiques redoutables, en le dotant d’avantages matériels exorbitans, ménageait l’alternative de devenir une assemblée de conspirateurs ou une assemblée de valets.

Sieyès, Dauriou, Rœderer, d’autres encore, purent s’y tromper. Un seul homme pénétra probablement dès l’origine le sort réservé à cette machine forcément condamnée à l’inertie. Étranger à la bizarre conception émanée d’un esprit chimérique, il entrevit du premier coup d’œil quelle facilité rencontrerait son épée pour percer la trame dans laquelle un vieux rêveur se proposait d’enlacer sa naissante