Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/510

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

hyène. M. Monjauze est parfaitement digne de représenter l’Énée de M. Berlioz, car on ne peut pas être plus commun ni plus trivial que le héros de Virgile tel qu’il se montre travesti par le librettiste français. Les chœurs et l’orchestre méritent des éloges ; les beaux costumes, les décors très variés, les petits ballets, tout cela forme un spectacle assez imposant, où il ne manque guère que l’intérêt, la mélodie et le sens commun.

Nous sommes à l’aise avec M. Berlioz, car nous n’avons pas attendu les Troyens pour prédire, il y a dix ans, que cet homme d’esprit et d’imagination n’avait pas la faculté particulière de composer des opéras. Il a déjà prouvé cette impuissance par Benvenuto Cellini et par une opérette en deux actes, Béatrice et Benedict, où l’on ne trouve absolument qu’un madrigal à deux voix, et qui ressemble au duo entre Didon et Énée au second acte des Troyens. En terminant cette analyse un peu rapide, je dirai que, si M. Berlioz a échoué et comme poète et comme musicien dramatique dans l’œuvre qu’il vient de produire, les cinq actes des Troyens prouvent cependant que l’auteur d’une telle conception n’est pas un artiste ordinaire, et qu’il avait le droit de se faire entendre. Que M. Berlioz se rassure donc : s’il est tombé, il est tombé de haut, et son désastre n’affaiblira pas l’estime qu’on doit à un homme qui a consacré dix ans de sa vie à réaliser son rêve.


P. SCUDO.
Séparateur


ESSAIS ET NOTICES

Séparateur


DE QUELQUES TRAVAUX RÉCENS SUR SCHILLER ET GOETHE[1].


Ce n’est pas une coïncidence fortuite que celle de la traduction française des Œuvres de Schiller par M. Régnier, et des importantes publications d’histoire littéraire de M. Saint-René Taillandier, commentaires intelligens des œuvres allemandes, avec le moment où l’étude des langues étrangères prend enfin racine dans notre éducation publique. L’Allemagne sent plus vivement que jamais le tort de n’avoir pas encore donné une édition critique de Schiller, et attend avec impatience de la grande maison Cotta, que son privilège oblige, après l’édition en 12 volumes de Mme de Gleichen, déjà supérieure aux précédentes, la publication des travaux patiens et consciencieux du docteur Joachim Meyer, de Nuremberg. Le regrettable Jacques Grimm était l’interprète de l’opinion publique lorsqu’il affirmait en 1859, dans une séance solennelle de l’académie des sciences de Berlin, qu’outre les statues et les bustes, il restait à élever à la gloire de Schiller un autre monument plus grand encore. « Celui qui nous est né il y a justement un siècle repose depuis cinquante ans dans le sein de la terre, et nous n’avons

  1. Correspondance entre Goethe et Schiller, par M. Saint-René Taillandier, 2 vol. in-18. — Lettres inédites de Sismondi, par le même, 1 vol. in-18. — Œuvres de Schiller, traduites en français par M. Régnier, membre de l’Institut, 8 vol. in-8o.