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pas une édition critique de ses œuvres, les présentant dans leur suite réelle, avec les différentes leçons. » Grimm ajoutait : « Un grand pas a été fait cependant, car la nouvelle traduction donnée en France par les soins de M. Régnier, qui connaît à fond, non-seulement notre langue d’aujourd’hui, mais encore l’ancienne langue allemande, peut servir, à beaucoup d’égards, de modèle… » En attendant, les documens s’amassent et s’impriment de divers côtés, en plus grand nombre qu’à aucune autre époque : volumes d’œuvres inédites, correspondances partielles, etc.[1]. Ces divers indices et beaucoup d’autres, qu’il serait facile d’accumuler, montrent que dans les deux pays, en Allemagne comme en France, on s’occupe activement d’une cause que l’on sent commune. Les publications récentes de MM. Régnier et Saint-René Taillandier ont chez nous leur signification propre dans ce mouvement qui se propage.

Avec les qualités qui la distinguent et les conditions dans lesquelles elle a été préparée, la nouvelle traduction de Schiller nous semble être précisément le signal de l’adoption définitive des œuvres qu’elle contient par l’esprit français, et de leur admission dans le cercle de notre éducation classique. M. Régnier n’y a pas admis certains ouvrages d’une authenticité douteuse ni la correspondance, où s’agitent des discussions théoriques quelquefois peu précises et non exemptes de subtilité ; mais les ouvrages consacrés de Schiller sont désormais présentés par lui au public français dans une traduction qui a toutes les qualités d’un modèle en ce genre. L’auteur était préparé à ce travail par un long enseignement de la philologie allemande, par une patiente interprétation, dix fois reprise, de chaque vers de ces poèmes en vue de cet enseignement, de telle sorte que tous les soins que pourrait prendre le traducteur le plus scrupuleux pour un texte des anciens auteurs classiques se sont trouvés appliqués aux œuvres les plus graves dans le domaine plus rapproché de nous des littératures étrangères. C’est ce qui justifie le témoignage de Jacques Grimm, que nous citions tout à l’heure. Avec cela, M. Régnier, tout français par les habitudes d’esprit, n’était pas homme à se contenter d’à peu près dans sa traduction, et, s’il lui arrive de rencontrer dans l’auteur qu’il interprète le vague et l’indécis de la pensée, il le dit dans ses notes ou dans l’excellente introduction qu’il a placée en tête de son premier volume. Ce sont ces qualités qui expliquent et justifient sans doute ce que nous disions plus haut de l’importance de sa publication.

Quant à l’immense correspondance de Schiller, ou concernant Schiller, c’est un monument d’autre sorte. Ce que le génie du poète a mis admirablement en œuvre dans ses poèmes, il le discute ici en mille aperçus théoriques, où le subtil et l’incertain.se mêlent au droit sens et à la ferme raison. Il y a ici besoin de commentaires, et cette lecture ne s’adresse pas à tous. Elle n’en est pas moins, au point de vue de l’esthétique et de l’histoire des idées littéraires, d’une importance extrême. M. Saint-René Taillandier

  1. Parmi ces dernières, la correspondance de la femme de Schiller, publiée en deux volumes par sa fille, Mme la baronne de Gleichen-Ruszwurm (Charlotte von Schiller und ihre Freunde), est certainement une des plus remarquables.