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— Ce sont les paroles qu’elle porte, répliqua le Kabyle, posant la bague dans la main du comte... Puisses-tu n’en jamais vérifier le sens par toi-même! Celui qui en a expérimenté le premier la terrible signification est maintenant étendu devant toi, Voici la première victime de l’oracle.

Et l’Arabe désignait du doigt la momie couchée à ses pieds. Prenant alors le papyrus étalé devant Edmond : — Tu vois ici, continua-t-il, Thôuoris et ses deux enfans, — Sethos l’aîné, Amasis le plus jeune. Méconnaissant les prérogatives de l’âge, le roi désigne comme successeur celui de ses fils qui interprétera l’énigme de l’anneau. En cherchant ainsi à donner le sceptre au plus sage, il manqua lui-même de sagesse, car il portait atteinte à l’ordre établi par la nature. Quoi qu’il en soit, Amasis se trouve doué du génie le plus pénétrant, et c’est lui qui dégage, pour son malheur, le sens précis de l’amulette. « L’homme ne doit pas faire obstacle à la main du sort. — Qu’il ne touche jamais de son doigt de fange à l’œuvre d’en haut. » De ces maximes qui lui coûtent un trône, Sethos garde un souvenir profond. Elles ne sont pas mieux gravées sur la pierre de l’anneau que dans l’âme du jeune prince. Amasis, son père une fois mort, monte sur le trône qui lui est assigné. Sethos courbe la tête et s’incline devant les décrets rendus par l’oracle. Ils représentent à ses yeux la volonté du Dieu tout-puissant; mais jamais il n’oubliera les paroles sacrées, et vienne le jour où son frère, sur le point de disparaître dans les flots du Nil, lui tendra une main suppliante, Sethos se gardera d’intervenir entre lui et le destin. Telle fut la fin d’Amasis. Sous les yeux mêmes de son frère Sethos, les eaux le prirent vivant et ne restituèrent que son cadavre.

— Sethos lui-même, que devint-il? s’écria Edmond, que cet étrange récit, éclairant tout à coup l’obscurité d’un drame antique, avait vivement ému. Un sourire amer crispa les lèvres du chef kabyle. — Ne disais-tu pas, répondit-il, — et ces paroles lentement prononcées semblaient empreintes d’une inexprimable ironie, — ne disais-tu pas que tu ne demandais jamais à la tombe les secrets du monde qui n’est pas le nôtre?...

Edmond, pris à court par ce sarcasme inattendu, baissa les yeux sous le regard du Kabyle. Ils s’arrêtèrent sur l’améthyste qu’il tenait à la main. La pierre mystique semblait darder, par tous les angles de ses facettes lumineuses, des feux irrités, des éclairs sacrilèges. Le soleil s’était caché cependant, sans qu’il s’en aperçût, derrière le noir rideau des montagnes libyennes; le large disque de la pleine lune inondait de ses clartés d’argent l’atmosphère encore brûlante et l’immensité des plaines arides. Lorsque le comte releva les yeux, le mystérieux habitant du désert n’était plus à ses côtés. De même qu’il s’était approché, de même il s’éloignait sans que sa