marche laissât, le moindre bruit. Edmond vit cette espèce de muet fantôme s’éloigner et se perdre dans l’obscurité parmi les colonnes énormes du temple d’Ammon Chnouphis.
Appelés aussitôt et lancés à la poursuite du chef arabe, les serviteurs d’Edmond ne purent lui en rapporter aucune nouvelle. Vainement dès le lendemain explora-t-on les villages environnans; personne n’avait vu arriver ni repartir ce personnage aux allures fantastiques. Aucune tribu kabyle ne s’était montrée dans le voisinage, ce qui s’expliquait du reste par l’effroi que devait inspirer aux maraudeurs une escorte aussi nombreuse et aussi bien armée que celle du comte Edmond.
Plus ce dernier y songeait, moins son entrevue avec le chef arabe lui paraissait devoir être classée parmi les faits certains ou même probables. Pour le confirmer dans ses souvenirs, si précis qu’ils fussent, le témoignage d’un tiers aurait été nécessaire, et encore, à l’encontre de ce témoignage, s’il eût existé, la nature elle-même semblait vouloir produire le sien. Tout autour du temple d’Ammon, et notamment aux endroits où l’apparition s’était montrée, un sable abondant et fin recouvre le sol. Le plus léger poids laisse son empreinte sur cette poussière subtile, et nulle trace pourtant n’accusait le passage du chef arabe. De là mille doutes, mille scrupules. Ne se pouvait-il pas que l’imagination du jeune comte, surexcitée par l’étude assidue des symboles peints que lui offrait le papyrus, eût évoqué ce fantôme, arrivé tout exprès pour résoudre l’énigme, jusque-là impénétrable? Restait, il est vrai, l’interprétation de l’anneau; mais cette interprétation était-elle exacte? Ne pouvait-elle être sortie de son cerveau comme l’apparition elle-même? Et l’améthyste? Pour s’expliquer comment elle était venue dans sa main sans qu’il eût conscience de l’avoir enlevée au doigt de la momie, il fallait trouver une hypothèse satisfaisante. N’arrive-t-il donc jamais que, sous l’empire d’une préoccupation idéale, le sentiment du réel s’efface en nous? Il y avait là néanmoins un véritable mystère que l’esprit du jeune Allemand se fatiguait à sonder. Rebuté à la fin par l’inutilité de ses efforts, il laissa ce fait inexplicable dans les régions crépusculaires du doute : le temps atténuait d’ailleurs la vivacité des images conservées par un souvenir de plus en plus vague, et l’apparition du chef kabyle, chassée à la longue du domaine des faits extérieurs, devint peu à peu une simple idée...
Les yeux d’Edmond, les yeux de son corps, n’avaient peut-être jamais eu devant eux le visage du chef arabe; mais ne se pouvait-il pas également que devant son regard intellectuel, — devant les yeux de son esprit, si l’on peut risquer ce mot, — eût passé l’âme de Sethos l’Égyptien?-