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lieux, Lamarck, entend cette action dans un sens très différent de celui qu’on attendrait d’après l’opinion reçue, car il attribue au milieu beaucoup plutôt une action perturbatrice qu’une action plastique.

La loi fondamentale suivant Lamarck, c’est la complication progressive des organismes. Or ce n’est pas le milieu qui produit cette progression. Le milieu au contraire, ou cause modifiante, ne fait que la troubler : c’est lui qui amène des interruptions, des hiatus, de véritables désordres, et empêche la série animale de présenter cette échelle graduée et continue qu’avait défendue Bonnet suivant ce principe célèbre : natura non facit saltus. Quel est donc le vrai principe formateur de l’animalité selon Lamarck ? C’est un principe distinct du milieu, indépendant du milieu, un principe qui, abandonné à lui-même, produirait une série interrompue dans un ordre parfaitement gradué : c’est ce qu’il appelle le pouvoir de la vie. « Tout porte ici, dit-il dans son mauvais style, sur deux bases essentielles et régulatrices des faits observés et des vrais principes zoologiques, savoir : 1° sur le pouvoir de la vie, dont les résultats sont la composition croissante de l’organisme et par suite la progression citée ; 2° sur la cause modifiante, dont les produits sont des interruptions, des déviations diverses et irrégulières dans le pouvoir de la vie. — Il suit de ces deux bases essentielles : d’abord qu’il existe une progression réelle dans la composition de l’organisation des animaux que la cause modifiante n’a pu empêcher, ensuite qu’il n’y a pas de progression soutenue et régulière dans la distribution des races d’animaux, parce que la cause modifiante a fait varier presque partout celle que la nature eût régulièrement formée, si cette cause modifiante n’eût pas agi. »

Cette distinction entre l’action perturbatrice du milieu et son action plastique est de la plus haute importance pour la question qui nous occupe, car l’appropriation des organes aux fonctions n’étant plus l’effet du milieu, mais de la vie, le problème reste tout entier, et il s’agit toujours de savoir comment la vie, cause aveugle et inconsciente et même cause mécanique (Lamarck admet la génération spontanée), comment, dis-je, une telle cause peut accommoder toutes les parties de l’animal à leurs usages respectifs et les lier ensemble à une action commune. Dans cette doctrine le milieu ne peut plus être invoqué comme cause, puisqu’il n’est qu’un obstacle, et que sans lui les formes organiques seraient encore plus régulières et plus harmonieuses qu’elles ne le sont.

Le milieu étant donc, de l’aveu même de Lamarck, un principe insuffisant pour expliquer la production des formes organiques, et par conséquent leur appropriation, ce qu’il appelle le pouvoir de la