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rier suivant des lois particulières les formes organiques, une autre série de causes, suivant d’autres lois, faisait varier les milieux. L’appropriation dans les animaux n’est autre chose que le point de rencontre entre ces deux séries. Or, comme les formes appropriées dans l’organisme se comptent par milliards, ou plutôt ne se comptent pas, il faut admettre que ces deux séries de causes parallèles se sont rencontrées d’accord un milliard de fois, ou plutôt un nombre infini de fois, c’est-à-dire qu’il faut livrer au fortuit, pour ne pas dire au hasard, la plus grande part dans le développement et le progrès de l’échelle animale. Est-ce là une explication vraiment rationnelle ?

Voici enfin une difficulté qui paraît des plus graves. Cuvier a beaucoup insisté, dans ses travaux de philosophie géologique, sur la loi qu’il appelle loi des corrélations organiques. Selon cette loi, les organes sont liés entre eux par des rapports logiques, et la forme de chacun est déterminée par la forme des autres. Il s’ensuit que certaines rencontres d’organes sont impossibles, que d’autres sont nécessaires. On n’ignore pas que c’est au moyen de cette loi que Cuvier a fondé la paléontologie, un os ou même un débris d’os lui donnant a priori dans un animal fossile tous ceux qui manquaient. Il résulte de là que si un organe capital subit une modification importante, il est nécessaire, pour que l’équilibre subsiste, que tous les autres organes essentiels soient modifiés de la même manière. Autrement un changement tout local, si avantageux qu’il puisse être en soi, deviendra nuisible par son désaccord avec le reste de l’organisation. Que si par exemple, comme le croyait Lamarck, les écailles des poissons avaient pu se transformer en ailes d’oiseau (ce que Cuvier déclarait absurde au point de vue de l’anatomie), il faudrait en même temps que dans ces mêmes poissons la vessie natatoire se fût transformée en poumon, ce qui paraît à M. Darwin l’exemple le plus frappant de sa théorie. Eh bien ! sans examiner la vérité intrinsèque des faits, je dis que ces deux transformations corrélatives et parallèles ne peuvent s’expliquer par un simple accident. M. Darwin semble avoir voulu prévenir cette objection en admettant ce qu’il appelle une corrélation de croissance. Il reconnaît qu’il y a des variations connexes et sympathiques, qu’il y a des organes qui varient en même temps et de la même manière : — le côté droit et le côté gauche du corps, les membres antérieurs et postérieurs, les membres et la mâchoire ; mais cette loi laisse subsister la difficulté. De deux choses l’une : ou c’est là une loi toute mécanique, qui n’indique que de simples rapports géométriques entre les organes et n’a aucun rapport avec la conservation de l’animal, et dès lors elle ne sert pas à résoudre le problème que