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j’ai posé ; ou bien ces corrélations de croissance sont précisément celles qu’exigerait le changement de milieu ou de conditions extérieures, et dès lors comment les comprendre sans une certaine finalité ? Par quelle singulière loi des organes qui ne peuvent agir que d’accord se modifieraient-ils en même temps et de la même façon, sans qu’il y eût là quelque prévision de la nature ? Ici encore la simple rencontre ne peut tout expliquer.


III.


Jusqu’ici nous nous sommes contenté de présenter quelques considérations générales et abstraites sur la possibilité du système que nous discutons, laissant aux naturalistes le soin d’examiner si les faits concordent avec cette hypothèse. Nous essaierons cependant, pour donner un peu plus de précision à notre critique, de l’appliquer à quelques cas particuliers. Nous choisirons pour exemple la théorie de M. Darwin sur la formation de l’œil dans les animaux supérieurs, et sa théorie sur la formation des instincts. Dans ces deux cas, l’hypothèse paraît insuffisante à expliquer les faits que l’observation nous présente.

Il s’agit pour M. Darwin d’expliquer par l’élection naturelle, c’est-à-dire par une succession de modifications accidentelles, la formation de l’œil, c’est-à-dire du plus parfait des appareils d’optique. Lui-même, nous l’avons dit déjà, en est effrayé. « Au premier abord, dit-il, il semble, je l’avoue, de la dernière absurdité de supposer que l’œil, si admirablement construit pour admettre plus ou moins de lumière, pour ajuster le foyer des rayons visuels à différentes distances, pour en corriger l’aberration sphérique et chromatique, puisse s’être formé par élection naturelle… La raison dans cette circonstance doit dominer l’imagination ; mais j’ai moi-même éprouvé trop vivement combien cela lui est malaisé d’y parvenir pour être le moins du monde surpris qu’on hésite à étendre jusqu’à des conséquences aussi étonnantes le principe de l’élection naturelle. »

Essayons donc, à l’exemple de M. Darwin, de dominer notre imagination, et suivons-le dans l’explication qu’il nous donne de la formation de l’œil humain. Le fait sur lequel il s’appuie est la gradation des formes de l’œil dans l’échelle du règne animal. Ce n’est pas immédiatement et sans aucun passage que la nature atteint à la perfection dans la structure de l’organe visuel : c’est par une série de degrés dont chacun peut être un perfectionnement du degré antérieur. Supposez d’abord un simple nerf optique sensible à la lumière : c’est là un point de départ que l’on peut accorder sans