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il consiste à remplacer ces cônes par des lentilles appelées cristallins, qui, plongées dans des milieux humides, ont la propriété, ainsi que ces milieux, de faire converger les rayons lumineux et de les concentrer sur la rétine. Ces deux systèmes présentent donc, l’un des appareils isolateurs, l’autre des appareils convergens, mais tous parfaitement conformes aux lois de l’optique.

Ces faits une fois établis, quelle conclusion en doit-on tirer ? Il faut observer d’abord que le fait de la gradation dans les formes organiques, — fait sur lequel M. Darwin insiste beaucoup, — n’a rien de contraire au principe de la finalité, car, en supposant une intelligence créatrice ou ordonnatrice, quelle loi plus naturelle et plus sage que celle du progrès insensible et continu ? L’idée même d’un progrès semble indiquer l’idée préconçue ou tout au moins le pressentiment instinctif de la perfection. Dire que le perfectionnement résulte de la complication progressive des phénomènes, c’est confondre la perfection et la complexité, qui sont deux notions très différentes. Au contraire il semble qu’à mesure que les phénomènes s’enchevêtrent de plus en plus les uns dans les autres, il devient plus difficile d’obtenir un effet méthodique et régulier. Dans le jeu des honchets, jetez trois pièces sur une table : il n’est pas impossible qu’elles s’arrangent en tombant pour former un triangle ; mais, si vous en jetez cent, il y a des milliards de chances contre une que vous ne rencontrerez pas une forme régulière. Si donc vous supposez l’œil se formant par une addition infinie de phénomènes, il y a infiniment plus de chances pour qu’il soit altéré ou détruit que perfectionné.

Mais de plus il s’en faut de beaucoup que la gradation soit absolue. Entre les deux systèmes supérieurs, le système isolateur et le système convergent, on voit bien qu’il peut y avoir à la rigueur transition et passage. M. Darwin cite en effet des cas où cette transition a lieu et où les cônes du premier système prennent la forme lenticulaire qui caractérise le second ; mais le point vraiment important, c’est le passage du premier système aux deux autres : or c’est là que ni lui ni Müller ne nous donnent aucun exemple de transition. Comment s’élever des points oculaires, simples renflemens nerveux, sensibles à la lumière, aux appareils optiques, soit coniques, soit lenticulaires, qui, affectant des formes géométriques, deviennent propres à la perception des images ? Muller ne cite en ce genre que deux ou trois faits d’une signification très douteuse et très mal définie. Faute de faits, M. Darwin y supplée par une hypothèse. « Il faut nous représenter, dit-il, un nerf sensible à la lumière derrière une épaisse couche de tissus transparens renfermant des espaces pleins de liquide, puis nous supposerons que chaque partie de