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cette couche transparente change continuellement et lentement de densité, de manière à se séparer en couches partielles distinctes par la densité et l’épaisseur, à différentes distances les unes des autres, et dont les surfaces changent lentement de formes. » Que de suppositions et que de rencontres il faut admettre ici ! Mais, en accordant même cette transformation, il faudrait remarquer que l’on ne passerait ainsi que du premier système au troisième, c’est-à-dire des yeux simples aux yeux à lentilles, et entre les deux systèmes se trouve, pour la plupart des animaux non vertébrés, le système mixte des yeux à facettes ou à mosaïque, propre aux insectes et au plus grand nombre des crustacés. L’hypothèse de M. Darwin ne peut en aucune façon rendre compte de la structure de ce troisième système, car comment le changement lent et insensible de la densité des milieux et le changement de forme de leur surface pourraient-ils amener la production de cônes transparens à parois obscures ? Cette combinaison, tout aussi savante que celle des yeux à lentille, demande elle-même une hypothèse pour être expliquée.

Remarquez d’ailleurs que, dans ces deux grands systèmes qui se fondent l’un dans l’autre par des transitions insensibles, il y a toujours appareil optique, et par conséquent accomplissement d’un plan et d’un dessein. Ce qu’il faudrait démontrer pour que la thèse contraire fût prouvée, c’est que parmi ces appareils il y en a un grand nombre construits contrairement aux lois de l’optique, c’est-à-dire qui auraient rencontré accidentellement des formes géométriques inutiles ou nuisibles à la vision. Il faudrait montrer des cônes transparens sans parois obscures, qui par conséquent n’auraient pas la fonction que Müller leur assigne, et qui, tout compliqués qu’ils seraient, ne rendraient pas plus de services que de simples points oculaires. Il faudrait nous montrer des yeux à cristallins concaves, et non convexes, qui écarteraient les rayons lumineux au lieu de les condenser, des milieux dont la densité serait inférieure à celui de l’élément où l’animal est plongé. Telles sont les contradictions qu’il faudrait nous présenter, et en grand nombre, pour rendre plausible la formation des yeux par une succession insensible de modifications accidentelles. Il est évident que si les yeux n’ont pas été faits pour voir, un très grand nombre de modifications ont dû se produire qui n’avaient aucun rapport avec la fonction de la vision. Dire que toutes ont disparu est une réponse trop commode, car il est vraiment étrange que, tant de formes ayant existé, il ne reste plus pour nous que celles qui sont appropriées à la fonction. Dire que ces modifications, étant désavantageuses, ont amené l’extinction des espèces qui les possédaient, c’est exagérer beaucoup, à ce qu’il semble, l’importance de tel degré de vision.