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dans des cadavres, mais que, par un reste d’association d’idées, elle a continué à aller chercher de ces cadavres, devenus inutiles pour elle, et à les placer auprès de ses propres œufs, et tout cela sans but, — on multiplie d’une manière si effroyable le nombre des accidens heureux qui ont pu amener un tel résultat, que l’on ferait beaucoup mieux, ce semble, de dire que l’on n’y comprend rien.

Terminons par une observation générale. Malgré les objections nombreuses que nous avons élevées contre la théorie de M. Darwin, nous ne prenons pas directement parti contre cette théorie, dont les zoologistes sont les vrais juges. Nous ne sommes ni pour ni contre la transmutation des espèces, ni pour ni contre le principe de l’élection naturelle. La seule conclusion positive de notre discussion est celle-ci : aucun principe jusqu’ici, ni l’action des milieux, ni l’habitude, ni l’élection naturelle, ne peut expliquer les appropriations organiques sans l’intervention du principe de finalité. L’élection naturelle non guidée, soumise aux lois d’un pur mécanisme et exclusivement déterminée par des accidens, me paraît, sous un autre nom, le hasard d’Épicure, aussi stérile, aussi incompréhensible que lui ; mais l’élection naturelle, guidée à l’avance par une volonté prévoyante, dirigée vers un but précis par des lois intentionnelles, peut bien être le moyen que la nature a choisi pour passer d’un degré de l’être à un autre, d’une forme à une autre, pour perfectionner la vie dans l’univers, et s’élever par un progrès continu de la monade à l’humanité. Or, je le demande à M. Darwin lui-même, quel intérêt a-t-il à soutenir que l’élection naturelle n’est pas guidée, n’est pas dirigée ? Quel intérêt a-t-il à remplacer toute cause finale par des causes accidentelles ? On ne le voit pas. Qu’il admette que, dans l’élection naturelle aussi bien que dans l’élection artificielle, il peut y avoir un choix et une direction, et son principe devient aussitôt bien autrement fécond. Son hypothèse, tout en conservant l’avantage de dispenser la science d’avoir recours pour chaque création d’espèces à l’intervention personnelle et miraculeuse de Dieu, n’aurait pas cependant le danger d’écarter de l’univers toute pensée prévoyante et de tout soumettre à une aveugle et brutale fatalité[1].

  1. Il n’y a nulle contradiction à admettre, concurremment avec le principe d’élection naturelle, un principe de finalité. Un botaniste distingué, M. Naudin, qui avant même M. Darwin a comparé l’action plastique de la nature dans la formation des espèces végétales à l’élection systématique de l’homme, reconnaît que l’élection naturelle est insuffisante sans le principe de finalité. « Puissance mystérieuse, dit-il, indéterminée, fatalité pour les uns, pour les autres volonté providentielle, dont l’action incessante sur les êtres vivans détermine à toutes les époques de l’existence du monde la forme, le volume et la durée de chacun d’eux en raison de sa destinée dans l’ordre de choses