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les roses et les sermens des amoureux, est la cause de toutes les merveilles que vous lui attribuez. Prouvez-moi, je vous prie, que cette passion aveugle, qui empêche nos facultés plus qu’elle ne les éclaire, a été la muse secrète d’un Lavoisier ou d’un Laplace, et qu’il y a de l’amour jusque dans la mécanique céleste.

Ici M. de Loewenfeld regarda de nouveau l’étranger avec un contentement de soi-même si marqué, que Mme de Narbal en fut un peu inquiète pour son ami.

— Docteur, répliqua le chevalier sur un ton de parfaite courtoisie, Gorgias, votre ancêtre, n’avait pas plus d’esprit ni de malice que vous. Je préfère cependant l’autorité de celui qui a dit : « Vous avez tout créé, Seigneur, dans la mesure, le nombre et le poids. » L’homme est né de la femme, mon cher docteur ; il a été conçu et nourri par l’amour. Personne n’a pu encore définir la part d’influence qu’une mère peut revendiquer sur la destinée du fils qu’elle a tenu sur ses genoux, et dont elle a bercé l’âme virginale de ses contes merveilleux ; mais il est bien certain que cette influence de la mère est d’autant plus grande que le fils est remarquable par la puissance du caractère et du génie. Consultez la vie des hommes illustres de tous les temps, la biographie des poètes, des peintres et des musiciens de premier ordre, et vous trouverez partout la confirmation de ce fait important. C’est de la mère que procède surtout l’enfant glorieux, c’est la femme qui délie la langue du génie, c’est l’amour enfin qui inspire le poète, et il y a de la poésie dans toutes les sciences, particulièrement dans le système du monde et la mécanique céleste. Ne riez pas, docteur ! vous prouveriez que vous ignorez combien l’imagination a de part à la découverte des sublimes vérités qui sont du ressort des sciences mathématiques. Qui nous dit que tel souvenir d’enfance, que tel mirage de l’âme aux jours de sa fécondation n’a pas suscité plus tard la pensée du philosophe en le mettant sur la voie de la découverte scientifique qui doit illustrer son nom ? Ce n’est pas une légende à dédaigner que celle qui attribue à de simples bergers de la Mésopotamie les premières observations qui ont été faites sur la marche des corps célestes, ce qui signifie sans doute, mon cher monsieur Thibaut, que l’inspiration se mêle à toutes les opérations de l’esprit, que c’est elle qui donne le branle à nos facultés, qui fournit les matériaux de toutes nos connaissances, et que les plus grandes découvertes de la raison humaine ont pour point de départ une vision de la fantaisie, un ravissement de l’âme, c’est-à-dire une intuition de l’amour… Tenez, ajouta le chevalier en tirant de sa petite bibliothèque de choix un volume magnifiquement relié en maroquin rouge et doré sur tranches, voici un livre dont le titre seul renferme