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cet attachement aux devoirs publics qui est comme le legs d’une génération à l’autre. Toutefois l’arrondissement avait commencé à resserrer les liens entre les électeurs, et leur avait donné les habitudes de se concerter pour la gestion journalière d’affaires communes. La constitution de 1848 avait, il est vrai, absorbé l’arrondissement dans le département en faisant prévaloir le système d’élection collective par scrutin de liste ; mais elle avait donné à chaque département, d’après sa population, un nombre de représentans qui dépassait toujours celui des arrondissemens, et elle n’avait deshérité aucun arrondissement de la liberté d’obtenir un député qui le représentât. La constitution de 1852, en ne faisant nommer par les électeurs de chaque circonscription qu’un seul député, conserve comme base de l’élection le chiffre de la population ; mais en limitant le nombre des députés à 286, tandis que le nombre des arrondissemens est bien supérieur, elle a de nouveau remanié le corps électoral. Elle a substitué dès lors des divisions de territoire tout artificielles et tout accidentelles aux divisions qui correspondaient aux habitudes et aux relations ordinaires des électeurs, et, en permettant de les changer tous les cinq ans, elle a en quelque sorte empêché un corps électoral de se former. En laissant au gouvernement, sans aucune réserve, le droit de refaire ainsi, avant chaque période électorale, la carte politique du pays, la législation lui a conféré un pouvoir discrétionnaire dont l’usage conduit presque inévitablement à l’abus. En effet, elle l’intéresse tantôt à l’augmentation, tantôt à la diminution du nombre des électeurs, suivant qu’il lui est avantageux de faire élire dans un département un député de plus ou un député de moins. Si le gouvernement a besoin d’établir une circonscription nouvelle qui serve à démembrer les circonscriptions anciennes, il lui suffit d’obtenir un plus grand nombre d’électeurs en faisant inscrire d’office sur les listes les citoyens indifférens ou négligens. S’il lui importe au contraire ailleurs de retrancher une circonscription, il n’a qu’à suivre un autre procédé en attendant que les électeurs non inscrits réclament eux-mêmes leur inscription[1]. Il en résulte qu’il faut prévoir à époques fixes un flux et un reflux capricieux, tantôt amenant sur ses vagues propices un nouveau député inattendu, tantôt remportant loin du bord un naufragé qui n’a plus d’esquif pour naviguer.

D’ailleurs, si ces mesures servent à créer ou à supprimer d’une façon aussi mobile des collèges électoraux, le gouvernement n’est

  1. Ainsi a-t-on vu le département de l’Eure, qui s’était, dans les cinq dernières années, appauvri de 6,000 habitans, s’enrichir d’un député en raison de l’augmentation en nombre de ses électeurs, et le département de la Seine, dont, la population s’était accrue de 597,000 habitans, être déshérité d’un député, parce qu’il avait perdu 107,000 électeurs.