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d’Appius Claudius; une autre était déjà mariée au fils aîné de Pompée. Par ces alliances, il tenait de tous côtés aux familles les plus influentes; mais son caractère et ses mœurs le distinguaient plus encore que sa naissance. Sa jeunesse avait été austère : il avait étudié la philosophie, non pas en curieux, comme un des exercices les plus utiles de l’esprit, mais en sage qui veut s’appliquer les leçons qu’elle donne. Il était revenu d’Athènes avec un grand renom de sagesse, que confirma sa vie honnête et réglée. L’admiration qu’excitait sa vertu redoublait quand on venait à songer dans quel milieu elle avait pris naissance, et à quels détestables exemples elle avait résisté. Sa mère Servilie avait été une des plus violentes passions de César, peut-être son premier amour. Elle eut toujours sur lui un grand empire, et en profita pour s’enrichir après Pharsale, en se faisant adjuger les biens des vaincus. Quand elle eut vieilli, et qu’elle sentit le puissant dictateur lui échapper, pour continuer à le dominer encore, elle favorisa, dit-on, ses amours avec une de ses filles, la femme de Cassius. Celle qui avait épousé Lépide n’avait pas un meilleur renom, et Cicéron raconte à propos d’elle une plaisante histoire. Un jeune fat romain, C. Vedius, traversant la Cilicie en grand équipage, avait jugé commode de laisser une partie de ses effets chez un de ses hôtes. Malheureusement cet hôte mourut; les scellés furent mis sur les bagages du voyageur comme sur le reste, et on y trouva tout d’abord les portraits de cinq grandes dames, parmi lesquels celui de la sœur de Brutus. « Il faut avouer, dit Cicéron, qui ne perdait pas l’occasion d’un bon mot, que le frère et le mari méritent bien leur nom. Le frère est bien sot (brutus), qui ne s’aperçoit de rien, et le mari bien complaisant (lepidus), qui supporte tout sans se plaindre. » Voilà-ce qu’était la famille de Brutus. Quant à ses amis, il n’est pas besoin d’en parler. On sait comment vivait alors la jeunesse riche de Rome, et ce qu’étaient les Cœlius, les Curion et les Dolabella. Parmi tous ces excès, l’honnêteté rigide de Brutus, son application aux affaires, ce dédain des plaisirs, ce goût de l’étude, qu’attestait sa physionomie pâle et sérieuse, ressortaient davantage par le contraste. Aussi tous les yeux étaient-ils fixés sur ce grave jeune homme, qui ressemblait si peu aux autres. En l’abordant, on ne pouvait se défendre d’un sentiment qui semblait mal convenir à son âge : il inspirait le respect. Ceux même qui étaient ses aînés et ses supérieurs, Cicéron et César malgré leur gloire, Antoine, qui lui ressemblait si peu, ses adversaires, ses ennemis, ne pouvaient en sa présence échapper à cette impression. Ce qui est plus surprenant, c’est qu’elle lui a survécu. On l’a éprouvée devant sa mémoire comme devant sa personne; vivant et mort, il a commandé le respect. Les historiens officiels de l’empire,