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III.

Le théâtre représente une chambre à coucher à angles coupés. Lit au fond ; à l’angle gauche, une cheminée ornée de candélabres avec bougies allumées, et d’une glace autour de laquelle sont suspendus des médaillons et de petits tableaux de genre ; à l’angle de droite, une porte ; au premier plan, du même côté, une autre porte. Les murs sont garnis çà et là de quelques tableaux, de fusils, couteaux et ustensiles de chasse, de pistolets et de diverses armes anciennes et modernes. A gauche, une causeuse ; au milieu, un guéridon. Chaises, fauteuils, un paravent.


SCÈNE PREMIÈRE.
HERMAN, NOIRMONT, FRITZ.

(Herman est à droite, en robe de chambre, debout, appuyé à la cheminée, et fumant un cigare ; Fritz est à gauche, assis et fumant une pipe allemande ; Noirmont est assis entre Herman et Fritz.)

FRITZ

Eh bien ! Herman, je vous jure, je n’aurais pas cru que vous vous en seriez si bien tiré, quand Mlle Pompéa a insisté pour que vous chantiez ce duo avec elle… Vous avez une assez jolie voix pour un amateur.

HERMAN, riant.

Vous êtes trop bon, cher beau-frère !

FRITZ

Non, en vérité !… Cette découverte a jeté ma sœur et Emma elle-même dans une surprise qui allait jusqu’à l’admiration, (Riant.) En prenant le nom d’Herman, vous avez adopté nos mœurs germaniques, car ce n’est pas un Français qui aurait tenu un talent caché pendant deux années.

NOIRMONT

Ah ! baron, vous êtes un terrible gallophobe ! Cette fois c’est vous qui commencez la guerre.

FRITZ, d’un ton prétentieux.

Je plaisante innocemment… Mais Mlle Pompéa, quelle femme prodigieuse ! Je ne sais ce qu’il faut admirer le plus, de sa beauté ou de sa voix.

NOIRMONT

Vous voilà donc réconcilié avec la comédienne ?

FRITZ

J’avoue mes torts. D’ailleurs, quel rapport y a-t-il entre ces malheureuses qui font le métier d’actrices et celle qui personnifie en elle le génie de la musique ? Quelle séduction ! quelle noblesse dans ses manières ! quel air de reine ! Elle me fait penser à la Marie Stuart de notre Schiller, et en même temps elle a quelque chose de si pur, de si angélique, qu’elle me rappelle la sainte Amélie de la légende, charmant les animaux des forêts.

HERMAN

Peste ! mon cher beau-frère ! dans votre enthousiasme, en la canonisant, vous nous faites jouer à tous trois le rôle de bêtes féroces !… Mais je vous le pardonne, car personne n’a mieux que Mlle Pompéa représenté la vertu, et donné ici-bas un avant-goût des joies du paradis.