Vous ici, Emma? Quelle imprudence ! Si quelqu’un vous voyait, vous seriez perdue!
Qu’importe? je suis libre.
Libre?
Oui, je viens de rompre avec mon fiancé... Oh! je ne vous ferai pas valoir la grandeur du sacrifice; mais, avec votre image dans le cœur, avoir à subir chaque jour la cour assidue de Fritz, c’était plus que je n’en pouvais supporter.
Cette rupture est une folie! Vous savez bien que, de mon côté, je suis enchaîné pour la vie.
Isabelle est mon amie d’enfance, rien n’aurait pu me décider à mettre mon bonheur au-dessus du sien : malgré vos déclarations d’une passion plus ardente que j’avais fait naître, malgré mon propre cœur, j’étais résolue à tout souffrir; mais à présent Isabelle sait que son mari n’est autre que le duc Pompée, que la Pompéa est sa maîtresse, et qu’il a permis à cette créature de venir le trouver jusque dans sa demeure entre sa femme et son enfant. C’est une injure dont vous auriez tort d’espérer le pardon : Isabelle vous aime, mais d’un amour légitime, consacré, renfermé dans les bornes d’une étroite vertu.
Quelle erreur est la vôtre ! Je ne suis pas l’amant de Pompéa, et je vous jure qu’autant que vous j’ai été surpris de son arrivée au château : sur ce point, Noirmont est en mesure de me justifier.
Libre à vous d’espérer le succès des fables d’un ami complaisant ! Quoi qu’il dise ou qu’il fasse, pour Isabelle le voile des illusions est déchiré, sa confiance est à jamais perdue. (Pause.) Eh ! qu’importe après tout? Ce n’est pas elle qui vous eût aimé marié à une autre, ce n’est pas elle qui, pour partager votre passion, eût foulé aux pieds tous les devoirs que la société et la religion nous imposent, qui eût étouffé jusqu’à la jalousie ! Eh bien ! moi, j’aime le duc Pompée malgré le scandale de son nom, malgré son cortège de vices, malgré sa femme, malgré sa maîtresse, je l’aime! Et s’il ne m’a pas abusée, si les paroles qu’il murmurait hier encore à mon oreille ne sont pas vaines, je suis prête à partir avec lui. (Silence.) Eh bien ! ne m’entendez-vous pas? Êtes-vous à ce point absorbé par la pensée d’Isabelle, ou