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sorte de ravissement la phrase admirable qui, par de.simples inflexions mélodiques, exprime avec tant de vérité et de profondeur l’espérance, les inquiétudes et le désespoir de l’amour.

— Voilà le triomphe de l’école italienne, s’écria le chevalier après avoir chanté avec un art consommé la touchante inspiration de Paisiello. Nul peuple n’a égalé le peuple italien dans l’expression des sentimens tendres, de la franche gaîté, des passions naïves et profondes par des moyens aussi simples et aussi primitifs que la voix humaine. Paisiello n’était pas un compositeur très savant ; mais c’était un poète et un poète de sentiment, et aucun musicien italien n’a su rendre comme lui la douleur d’une âme qui ne vit que pour aimer, et pour aimer un seul et unique objet.

Il y a dans cette romance (le chevalier prenait plaisir à ces analyses psychologiques qui lui permettaient de dire tant de choses délicates bien vite comprises des personnes auxquelles il s’adressait), il y a non-seulement l’expression absolue d’un sentiment universel et partout le même, mais le peintre y a mis certains accens particuliers qui accusent la passion d’une femme et d’une Italienne. Ce n’est point ainsi que s’exprimerait une Allemande, qui d’ordinaire concentre tout en elle-même, ni surtout une Française, pour qui l’amour n’est jamais qu’un mélange de grâce, de vanité et de coquetterie mondaine qui s’évapore au bout de quelques années et va se perdre dans les soucis du mariage. Que de douleur dans ce passage épisodique qui suspend la phrase principale, — Aimé ! noy non vien (hélas ! mon bien-aimé ne vient pas !), dont chaque note semble contenir un sanglot qui va se répercuter dans le cœur même de la victime ! Quelle mélancolie profonde et d’autant plus touchante qu’aucun idéal ne la traverse et ne l’illumine, et qu’elle se complaît dans l’étroitesse de l’horizon moral qui limite ses espérances ! Et cette plainte inimitable, ce lamento d’une âme qui trouve une sorte de volupté dans la monotonie de sa douleur, se termine par un coup de foudre, par un cri suprême et désespéré : — O Dio ! non ce (mon Dieu ! il ne reviendra plus) ! — On ne saurait donner plus d’intensité et de charme à l’expression d’un sentiment unique, noble et touchant, mais purement humain, qui résume toute la destinée d’une pauvre créature. François Schubert a égalé presque le chef-d’œuvre de Paisiello dans l’admirable lied de Gretchen am Rad. Obéissant aux tendances de l’école moderne et à l’instinct germanique, le compositeur allemand a mis une partie de l’intérêt dans l’accompagnement, dont l’harmonie très variée relève par de nombreuses modulations la simplicité relative de la mélodie vocale, tandis que le musicien italien, fidèle également au génie de son pays, n’a eu besoin que de quelques accords élémentaires pour encadrer