Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chefs-d’œuvre que nous admirons et d’enrichir l’Allemagne d’une forme presque nouvelle de l’esprit humain.

— Vous pouvez ajouter, docteur, répondit le chevalier Sarti, que c’est à la pression de la France, au despotisme impitoyable de l’homme funeste qui la gouvernait alors, que l’Allemagne doit le réveil de son génie et la création d’un art véritablement national. Le Faust de Goethe et le Freyschütz de Weber sont deux poèmes où la pieuse légende et le sentiment profond de la vieille race germanique parlent pour la première fois le langage de l’art et l’opposent à la domination séculaire de la civilisation latine.

— Ah ! nous y voilà, s’écria M. Thibaut, le chevalier va nous expliquer enfin l’origine de ce pittoresque de la poésie romantique que n’auraient pas connu Mozart ni aucun des grands musiciens qui ont précédé Beethoven, Weber et les compositeurs modernes.

— Docteur, répliqua le chevalier, vous êtes mon esprit tentateur, et vous cherchez à me perdre auprès de ces dames en soulevant des questions abstraites qui ne peuvent intéresser que des érudits comme vous et M. le baron de Loewenfeld. Je ne tomberai pas aujourd’hui dans le piège que vous me tendez, ce serait gâter une trop belle journée par des discussions oiseuses ; mais si vous tenez absolument à avoir mon sentiment sur des choses que vous connaissez à fond, je vous dirai comment je comprends que les grands musiciens allemands de notre époque, Weber surtout, Beethoven et leurs imitateurs se rattachent au mouvement insurrectionnel, — Sturm- und Drangperiode, — opéré dans la littérature de votre pays par Klopstock, Lessing, Wieland et Hefder d’abord, continué et agrandi par Goethe, Schiller, les Schlegel, Uhland et leurs disciples. C’est le réveil du génie national que se propose l’école dite romantique, et le génie de la vieille Germanie se distingue de celui de la race latine par la piété, la recherche de l’infini et l’intuition de la nature.

— Haydn et Mozart n’étaient donc pas des Allemands ? répliqua le docteur avec malice ; l’auteur de la Création et des Saisons, celui de Don Juan, de l’Ave verum et du Requiem manquent-ils de piété, d’infini et de pittoresque dans leurs œuvres immortelles ?

— Ah ! vous m’accablez, sapientissimo dottore, dit le chevalier en offrant le bras à Mme de Narbal, vous me forcez à interrompre un débat qui deviendrait fastidieux pour ceux qui nous écoutent ; mais je ne me tiens pas pour battu, et dans un autre moment je ne désespère pas de vous prouver qu’Haydn, Mozart et tous les musiciens allemands du XVIIIe siècle, excepté Sébastien Bach, sont plus ou moins sous l’influence de l’école italienne, où domine la musique vocale, l’expression pure et finie des sentimens du cœur humain,