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que le pittoresque comme je le comprends, l’infini de la nature, la magnificence de ses phénomènes et de ses beautés mystérieuses se mêlant au drame de nos passions, n’ont été traduits dans l’art musical que depuis Beethoven, Weber et les musiciens modernes qui procèdent de ces deux beaux génies.

— Chevalier, répondit M. Thibaut en secouant un peu la tête, vous êtes poète, et vous parlez comme un amoureux.

— C’est pour cela sans doute qu’il parle bien, répliqua Mme de Narbal.

La boutade du docteur jeta le chevalier dans un trouble extrême et le réduisit au silence. M. Thibaut était loin de se douter qu’il eût frappé si juste !

En sortant du théâtre, la compagnie, après avoir un peu erré sous les ombrages du parc, fut conduite par M. de Loewenfeld au temple d’Apollon, qui n’en est pas très éloigné. Le soleil déclinait de plus en plus ; mais il faisait encore assez jour pour voir et pour admirer ce réduit charmant, plein de fraîcheur et de piquans souvenirs. On fit le tour du bassin de marbre où se trouvent les six sphinx qui, s’il faut en croire la chronique galante, représentent les traits des six plus belles femmes de la cour de Charles-Théodore. — Ce serait une histoire bien curieuse que celle de ces six sphinx que nous voyons ici se mirant dans l’eau de ce bassin où les a fixés la main d’un artiste aussi habile que discret, dit M. de Loewenfeld. Ce n’est point une pensée commune que celle qui a placé à l’entrée d’un temple consacré au dieu de la poésie, de la musique et partant de l’harmonie, le portrait de six femmes qui ont régné par la beauté et qui ont excité dans la vie tant de passions orageuses.

— Il y a donc quelque chose de vrai dans la légende qui circule sur l’origine de ces sphinx ? répondit M. Thibaut en montant lentement l’une des deux allées ombreuses qui conduisent sous la coupole élégante où est la statue d’Apollon tenant une lyre à la main.

— Eh ! oui, sans doute, répliqua M. de Loewenfeld. Demandez plutôt à Mme de Narbal.

— Vous êtes une mauvaise langue, dit la comtesse, et bien indiscret pour un conseiller d’état !

— Mais voilà qui devient intéressant, dit M. Thibaut, et jamais, ma chère comtesse, vous ne m’avez parlé de cette belle histoire, que je croyais être un conte bleu.

— Les femmes ne sont pas obligées de dire tout ce qu’elles savent, dit nonchalamment Mme de Narbal en arrivant la première sous la coupole du petit temple.

De ce point élevé, le regard embrasse un tableau ravissant. D’un côté, on aperçoit l’allée ombreuse et la chute d’eau qui se précipite