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ne saurait être mise en doute ? D’où vient cette attitude si peu en harmonie avec les traditions de l’église en pareille matière ? Je l’ignore. Les Africains pourtant seraient, dans la forme sinon dans le fond, une conquête aussi facile qu’au temps de l’esclavage, ne fût-ce qu’en raison de la haute idée du rôle de chrétien que leur donnent les nègres créoles par la méprisante appellation de sans baptême. J’ai vu sur une habitation la femme du propriétaire, essayant de faire revivre un antique usage colonial, réunir soir et matin ses émigrans pour une prière à laquelle venaient se joindre quelques élémens d’instruction religieuse. Les progrès étaient lents, et les plus savans au bout de trois mois n’avaient guère dépassé le signe de la croix, si bien que la pauvre dame finit par appeler à son aide le curé de la paroisse ; ce dernier refusa net, quoiqu’il connût mieux que personne l’empire sans bornes du prêtre sur le nègre catholique[1]. Peut-être les Indiens se laisseraient-ils convertir moins aisément. Il est certain que, sur quelques habitations, il en est qui conservent leurs rites, qui adoptent pour autel un arbre aux branches duquel seront suspendus en guise d’ex-voto des fleurs, des chiffons, des fruits ; dans les grandes circonstances, une victime sera même immolée. Je me souviens d’un mariage célébré de la sorte : les réjouissances furent complètes, la procession se fit en grande pompe, on cassa force noix de cocos, et le mouton fut tué avec toute la pompe désirable. La mariée était jolie, élégance de formes, pureté d’attaches, grâce dans les lignes, tous les caractères de beauté de sa race étaient réunis en elle. Elle n’en avait pas moins cherché à les rehausser par un arsenal complet de colliers, de verroteries, de bracelets et d’anneaux soudés et rivés à ses bras et à ses jambes, ainsi que par de petites plaques métalliques que fixaient sur le nez des boulons et des écrous lilliputiens. J’ajoute à regret que la nouvelle épouse avait la corde au col, et qu’elle ne s’en inquiétait guère. L’Indien qui remplissait les fonctions de prêtre en tenait le bout à la main, et le remit solennellement au mari. La prise de possession était consommée.

La diversité de tendances de nos deux colonies se manifeste par la manière dont y sont appréciées les différentes classes d’émigrans. À la Martinique, où les anciennes idées et les principes aristocratiques cherchent constamment à reprendre le dessus, on préfère l’émigration africaine comme offrant l’avantage de se mêler facilement aux noirs indigènes, de ne jamais songer à un rapatriement

  1. A la confession qui précède les grandes fêtes, l’affluence est telle que le confesseur se voit obligé de renvoyer bon gré, mal gré, son pénitent absous au bout de cinq minutes d’audience. À Fort-de-France, en 1860, on dut suspendre à trois heures du matin, faute d’hosties, la communion qui se donne après la messe de minuit.