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en 1858, le rapport des bénéfices au prix des cannes n’allait pas à moins de 87 pour 100 ! Admettons, si l’on veut, une certaine exagération dans ce chiffre, puisé pourtant à bonne source et sur les lieux ; on n’en sera pas moins étonné, si l’on songe qu’à La Havane, où l’ensemble des capitaux employés à l’industrie sucrière est évalué à près d’un milliard[1], le produit annuel de cette industrie ne dépasse guère 150 millions de francs. Ce n’est qu’un intérêt de 15 pour 100. Et n’oublions pas, en citant ces chiffres, que les 1,500 sucreries de Cuba donnent dix fois autant que les 500 sucreries de la Martinique, que, grâce à l’or américain, les nouveaux procédés de fabrication s’y sont tellement répandus que l’île reçoit chaque année pour près de 3 millions de francs de machines destinées à des usines dont le développement laisse bien loin en arrière tout ce que nous rêvons pour nos Antilles. L’habitation Alava, par exemple, à Cardenas, produit par an 20,000 cajas, ou caisses, de 200 kilogrammes sur 200 hectares, cultivés par 600 esclaves. L’habitation Flor-de-Cuba, avec 729 esclaves, récolte 18,000 cajas sur 124 hectares seulement. On en pourrait nommer cent autres. Cuba, en un mot, représentera dernière expression du travail servile, et l’on y trouve, en raison de la fécondité du sol et du voisinage des États-Unis, une réunion d’élémens de succès que l’on chercherait vainement ailleurs. On voit néanmoins que la moyenne des gains n’y a rien de formidable ; ce n’est pas cette concurrence qui doit effrayer le travail libre.

La Martinique se laissa distancer dans cette course au progrès ; mais la cause n’en fut pas tant au manque d’initiative qu’à l’absence de routes et aux difficultés dont la disposition montagneuse des lieux entourait les charrois[2]. Cependant l’usine de la Pointe-Simon, qui s’éleva la première sur les bords de la magnifique rade de Fort-de-France, fabriquait dès 1859 plus de 2,000 barriques de sucre (de 500 kilogrammes) par an, et elle réussissait si bien au gré de ses propriétaires que leur plus vif désir était de pouvoir fonder des établissemens analogues sur d’autres points de la colonie. Il est à craindre malheureusement que de longues années ne se passent

  1. francs
    Terrains ( environ 14,000 hectares) 300,000,000
    90,000 nègres esclaves valides 337,000,000
    30,000 nègres esclaves, vieillards et enfans 45,000,000
    Constructions 150,000,000
    Machines 75,000,000
    Total 907,000,000
  2. On raconte qu’un amiral anglais, voulant donner au roi George II une idée de la configuration de la Martinique, prit une feuille de papier qu’il chiffonna brusquement, et la rejetant tout informe sur la table : « Sire, dit-il, voilà la Martinique ! »