encore avant que le progrès réalisé par les usines centrales soit devenu la loi générale de nos Antilles. Le principal obstacle gît dans la difficulté des transports et des communications à l’intérieur ; mais, à défaut de ces grands centres d’une production de 2 à 3,000 barriques, la séparation de la culture et de la fabrication sera également réalisée dans les localités moins accessibles par la création d’usines secondaires ne produisant pas au-delà d’un millier de barriques. Ce serait le coup de grâce pour toutes ces petites habitations de 100 barriques et au-dessous, baptisées sans façon par nos colons du sobriquet de sucrottes ; mais ce coup de grâce serait en même temps leur salut et celui de tous les petits producteurs, qui cherchent en vain aujourd’hui à faire face avec des capitaux insuffisans aux frais multipliés de leur double tâche. Sans entrer d’ailleurs dans le détail un peu aride des nouveaux procédés industriels mis en œuvre par les usines centrales, nous nous bornerons à jeter un rapide coup d’œil sur l’un des plus récens de ces splendides établissemens. L’histoire de cette usine résume en quelque sorte celle de nos colonies dans le passé et dans l’avenir.
L’étendue de plaine la plus considérable que renferme la Martinique fait partie de la commune du Lamentin. On y arrive en suivant une petite rivière qui débouché dans le fond de la baie de Fort-de- France après avoir serpenté quelque temps sous un dôme de palétuviers ; ce n’est qu’au sortir des terres d’alluvion conquises sur la mer par l’entrelacement de leurs racines que se montrent le bourg du Lamentin et les riches cultures qui l’entourent. J’y fis ma première visite en 1859. Il n’était bruit alors dans la colonie que des projets gigantesques d’un nouvel arrivé d’Europe, dont l’intention hautement annoncée était non-seulement de remettre en valeur ce quartier formé d’anciennes propriétés de famille longtemps abandonnées, mais aussi d’y créer de toutes pièces une usine centrale modèle. Resté jeune en possession d’une fortune énorme. M. de… n’avait pu résister au besoin d’activité qui formait le fond de sa nature, et, quittant femme et enfans, il avait volontairement échangé son opulente existence parisienne pour la vie rude et périlleuse du pionnier sous le ciel des tropiques. Les hommes et les choses, le sol et le climat, l’inertie et la routine, il avait tout à combattre : rien ne l’effraya, et, risquant tout à la fois sa santé et sa fortune, il se mit résolument à la tête de ses travailleurs. Ce fut au milieu d’eux que nous le rencontrâmes, et qu’il nous développa les plans de tout genre qu’il avait conçus. « Ces arbres séculaires, ensevelis sous des lianes dont l’inextricable végétation rappelait les forêts vierges du Nouveau-Monde, devaient tomber sous la hache. Ces savanes qui s’étendaient à perte de vue deviendraient avant