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de’ Cerchi, et dont le costume délabré, la contenance un peu gauche contrastent d’une façon à la fois attachante et bizarre avec un langage choisi et une physionomie spirituelle. Ce personnage équivoque, qui paraît dépourvu de toutes ressources et au doigt duquel brillait cependant tout à l’heure un anneau de prix, en est réduit à mendier son premier repas ; mais ce modeste déjeuner, composé d’un bol de lait et d’un morceau de pain, il l’obtiendra sans peine de la plus jolie fille du marché en échange de quelques fleurettes et d’un ou deux baisers placés à propos. Vous voyez d’ici que nous avons affaire à un diplomate en herbe, et vous vous en convaincrez mieux encore en l’accompagnant chez le barbier Nello, dont la boutique, hantée par les notabilités florentines, va fournir au nouveau-venu le point de départ et les relations dont il a besoin. Nello lui-même est un excellent type italien avec sa bonhomie bavarde, ses prétentions naïves, son léger vernis d’érudition, ses instincts d’artiste, sa pénétration obligeante, sa curiosité banale, et, comme il se fait volontiers à la fois l’initiateur et le protecteur de sa nouvelle pratique, leur première conversation ne saurait manquer d’intérêt.


«… Ce Lorenzo que nous pleurons était le Périclès de notre Athènes,… si tant est que cette comparaison ne blesse pas l’oreille d’un Grec.

« — Et pourquoi donc ? reprit en riant le nouveau-venu ; je ne sais pas si, même au temps de Périclès, Athènes aurait pu se vanter de posséder un barbier aussi érudit que vous.

« — C’est bien cela, je ne me trompais pas, reprit Nello avec sa rapidité habituelle ; on n’a pas impunément rasé pendant bien des années le vénérable Démétrius Chalcondyle… Mais, permettez-moi de vous le dire, vous m’étonnez singulièrement : vous parlez mieux l’italien que lui, bien que son séjour en Italie remontât à plus de quarante ans.

« — Votre surprise diminuera, si je vous dis que je proviens d’une tige grecque plantée dans le sol italien depuis plus longtemps que ces mûriers, désormais acclimatés chez vous. Le lieu de ma naissance est Bari ; mon pè…, mon précepteur, veux-je dire, fut un Italien, et au fait le titre de Grœculus m’appartient plutôt que celui de Grec. Toutefois plusieurs voyages et un assez long séjour au pays des dieux et des héros m’ont rendu quelque chose de ma première origine ; maintenant, s’il faut vous l’avouer, je n’ai pu sauver du naufrage que je viens de subir, outre ces connaissances acquises chez les Hellènes, qu’un petit nombre de pierres antiques dont je suis porteur ; mais, — la chute des tours n’étant pas favorable à l’oiseau qui cherche à se préparer un nid, — la mort de votre Périclès me fait regretter de n’être pas allé tout droit à Rome. C’est justement le patronage de Lorenzo que j’ambitionnais en venant ici, et Florence m’avait été signalée comme la ville où le peu que je possède trouverait le meilleur débit.

« — Rien n’est changé à cela, je l’espère bien, répliqua le barbier. Lorenzo n’était chez nous ni le seul patron ni le seul bon juge des choses de