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Capodistria tombait au milieu des jours de fête décrétés en l’honneur de l’union. Chacun sait que le président de la Grèce était né à Corfou, et que son corps y fut rapporté pour être enseveli dans le monastère de Platytéra, voisin de la ville. La mémoire de Capodistria est demeurée dans les Iles-Ioniennes l’objet d’un culte universel, alors même que la Grèce se montrait ingrate envers lui. Aussi le parlement de Corfou, en décrétant la fête nationale, avait-il ordonné que, le samedi 9 octobre, on célébrerait au tombeau de Capodistria un service solennel, auquel quinze mille personnes se rendirent malgré la menace d’un formidable orage qui éclata pendant le cours de la cérémonie. C’est toujours une noble inspiration pour un peuple que d’associer à l’expression de la joie nationale le souvenir de ses morts illustres ; mais Capodistria n’est pas seulement un des premiers hommes d’état de la Grèce moderne, celui qui l’a le plus aimée peut-être et le mieux gouvernée. Son nom est le symbole d’une politique d’émancipation nationale, d’affranchissement complet de la race grecque, d’union des idées de foi et de patrie, de sage liberté et d’esprit de conservation à l’intérieur, de propagande morale à l’extérieur, mais surtout de balance égale entre les diverses puissances de l’Europe et d’indépendance d’action de la Grèce en dehors des influences étrangères, que l’Angleterre en 1830 et 1831 a combattue à outrance. C’était donc tout un programme dont le parlement ionien proclamait les principes en plaçant au milieu des fêtes patriotiques de l’union une cérémonie de deuil en mémoire de Capodistria. Pour mieux préciser encore l’intention, et la portée de son acte, le parlement avait confié au plus éloquent, mais en même temps au plus fougueux des orateurs rhizospastes, à M. Lombardos, le soin de prononcer en son nom dans cette cérémonie l’oraison funèbre de Capodistria. Rarement un aussi remarquable morceau d’art oratoire a retenti du haut d’une tribune de la Grèce moderne. Les fières et patriotiques paroles du député de Zante faisaient courir un frémissement d’émotion dans tout l’auditoire, et des applaudissemens enthousiastes, l’interrompirent lorsqu’il s’écria : « Oui, dans ce grand jour où les Iles-Ioniennes viennent, enfin de se réunir à la Grèce libre, l’œuvre interrompue de Capodistria recommence son cours. La politique grecque, qui depuis le trépas de l’on illustre rejeton, ô Corçyre, s’était assise en vêtemens de deuil au bord de son tombeau, se relève aujourd’hui triomphante et couronnée de lauriers… Étranger qui t’étonnes de nous voir unir une cérémonie de deuil aux fêtes de la renaissance nationale, apprends de la bouche de ce peuple le sens d’une telle association. Ecoute la voix de la nation grecque tout entière sortir de ce tombeau pour proclamer que l’influence d’une politique étrangère