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l’inconnu, et non par des sauts brusques. Cela est surtout vrai des œuvres de l’ingénieur des constructions navales, qui n’a pas seulement à compter avec sa spécialité propre et avec la fortune si changeante de la mer, mais qui doit compter encore avec une foule d’autres spécialités, lesquelles s’excluent parfois et se contrarient presque toujours, de telle sorte que l’esprit de vérité dans son art est un esprit de transaction et de compromis perpétuels avec tous, les progrès qu’accomplissent autour de lui les diverses branches de la science et de l’industrie humaines. Il peut arriver qu’une grande découverte ayant été faite dans une certaine direction, il ne soit pas sage à l’ingénieur de l’appliquer pratiquement, parce qu’il ne sait pas les moyens de la mettre en harmonie avec les autres données de son art. Pour avancer avec quelque sûreté dans sa voie, il ne faut pas seulement qu’il base toujours ses calculs sur les certitudes acquises, il faut aussi, — et c’est là le point le plus délicat, — ; qu’il ne tente jamais rien en dehors des concordances que ces certitudes peuvent offrir entre elles.

C’est ainsi que, voulant obtenir le double avantage des deux batteries et d’une artillerie plus nombreuse que celle qui arme les frégates proprement dites, on a été contraint sur les vaisseaux, pour ne pas faire tort à leurs qualités nautiques, de laisser à l’arrière et à l’avant, dans la batterie haute et dans la batterie basse, des espaces considérables qui ne sont pas protégés par la cuirasse du navire. Il est à craindre que ce ne soit pas très militaire, car, malgré le mérite des dispositions qui ont été prises pour combattre ce danger, la chance de l’incendie subsiste toujours. C’est l’ennemi le plus redoutable et le plus redouté du matelot. Il n’est pas de canonnade, si meurtrière qu’elle soit, qui produise sur son moral autant d’effet que ces simples mots : le feu est à bord ! Et l’incendie à bord d’un navire cuirassé agirait avec d’autant plus de puissance sur les esprits.que la croyance à l’incombustibilité est presque nécessairement attachée à l’idée de la cuirasse ; les marins se croiraient trompés. Je sais bien quel sera le remède. Si les ingénieurs ne sont pas encore prêts à faire des vaisseaux complètement cuirassés, ils le seront bientôt. La force des choses y pousse malgré la résistance que les considérations financières opposeront à ce projet. Il n’y a de bon marché à la guerre que la victoire, et quel que soit le prix auquel reviendront des navires complètement cuirassés, on s’y soumettra quand on saura faire ces navires. Il arrivera pour eux ce qui est arrivé pour les anciens vaisseaux à voiles et pour les bâtimens à vapeur en bois, qui, partis en 1830 du Sphinx de 120 chevaux et de 4 canons, étaient devenus en 1846 le Napoléon de 90 canons et de 900 chevaux, en 1850 la Bretagne de 130 canons et de 1, 200 chevaux. De